L’explosions des charges de logement : quelles solutions écologiques ?
En 2009, je sortais chez Eyrolles Ecosolutions à la crise, suivant un ouvrage intitulé L’habitat bio-économique : j’avais choisi comme angle d’approche une analyse ancrée dans les coûts et l’espace tels que je les voyais dans le bâtiment individuel, étant alors maître d’oeuvre de maisons écologiques et créateur d’une éco-maison autonome fondée sur la boucle courte, concept qui inspirera plus tard la rénovation d’une usine entière (dont rendra compte l’entrepreneur Emmanuel Druon, dans Ecolonomie, chez Acte Sud, 2016). Mon propre livre partait d’une micro-analyse économique rendant compte du pourquoi de l’explosion des charges de logement pour tenter une analyse plus globale, en montrant que notre façon d’habiter l’écosystème comme si nous en étions extérieurs était l’une des raisons de la crise économique actuelle.

— L’idée du livre était que dans un espace terrestre restreint nous consommions 40 à 50 % de la biomasse (source Leakey et Lewin, 1997), et que nous en sortions nos déchets organiques en les brûlants pour la plupart ; s’y ajoutaient en France 3 milliards de m3 d’eaux usées qui finissaient sous forme de boues stériles mêlées à des molécules toxiques, donc non réutilisables. Conséquences : le coût du ramassage et du retraitement des déchets atteint 300 milliards en OCDE (Fondation C-L. Mayer) ; le complexe « ordures » aux USA représentant 22 % du PIB selon Paul Hawken. A l’époque, une fonctionnaire du ministère de la santé français m’expliquait que les toilettes sèches étaient contre « l’intérêt national ». Vrai de vrai. Quand les syndicats d’ordures ménagères sont en concession (par exemple : Véolia en région parisienne), les augmentations ne sont pas contenues. Pas question pour les délégataires de faire du compostage des déchets biologiques à la source : c’est une perte de chiffre d’affaires. Il vaut mieux tout brûler ou installer des chaînes de séparation physiques. Le tonnage, c’est le marché.
— Dans notre pays, les pesticides utilisés par l’agriculture n’ont cessé d’augmenter, tandis que les solutions de purifications de l’eau devenaient de plus en plus onéreuses pour faire disparaître ces cocktails pesticides-engrais-résidus de médicaments : conséquence, une conjonction d’interêts fait atteindre au m3 d’eau potable les 4 euros dans de nombreux endroits (l’augmentation est deux fois supérieure au coût de la vie ; on paie en fait les effluents agricoles, car il suffirait d’interdire tout épandage autour des points de capture des sources).
— En Bretagne, 11 % du sol sont artificialisés, ces 11 % étant aussi la surface solide du globe consacrée à l’agriculture. La terre hyper fertile d’Île-de-France voit chaque année disparaître 40000 ha. De manière mondiale, les rendements s’accroissent mondialement de 1,3 %/an, mais les rendements céréaliers tiennent péniblement les + 1%/an, tandis que la consommation de terres nouvelles(+ 1%/an) permet de faire la soudure avec le boom des populations. En France, la population a gagné 17 millions de personnes dans le dernier demi-siècle. Cela crée donc une pression continue sur les terres constructibles et une tendance à l’augmentation de leurs prix : dans les dix dernières années, dans les zones les plus denses, la progression du m2 de l’ancien a été parfois de 100 % (dans des cas extrêmes toutefois, en proche banlieue parisienne). Pourcentage du budget-habitat chez nous : de 13 à 25 %.
— Dans le même temps, les terres gagnées sont les terres fragiles des franges des zones climatiques (ou humides), et le réchauffement du climat induit une chute du rendement agricole. Le tout implique pour les zones plus tempérées une pression migratoire (qui reste à 80 % dans le pays lui-même. Restent 20 % que l’on retrouve sur les routes internationales, vrais chemins de croix de l’esclavage)… Quoi qu’il en soit, la pression humaine s’accroît et, avec elle, le prix des terres, de l’eau, des aliments. C’est mécanique.
— Autre exemple : Andrew Marshall, conseiller de la défense au Pentagone, explique en 2004 que 10 % de pluies en moins en Australie c’est une réduction de 12 % du poids du bétail. Or, les marchés internationaux n’ont besoin que d’anticipation portant sur des déséquilibres de quelques pour cents pour porter les prix a des niveaux plus que supérieurs. Exemples : dans Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO (2006-2015), il est noté qu’une baisse de 1 à 2 % de la production alimentaire entraîne une hausse de 9 à 13 % des prix.
— Au moment de la création de l’Euro, j’en faisais un petit livre complaisant aux Editions Gallimard (en tant que travailleur précaire), sous la houlette lointaine du ministre Pierre Moscovici, mais sous la houlette plus rapprochée des directeurs de cabinets du commissaire européen chargé de la bascule Franc/Euro. J’interroge donc ceux-ci sur, à leur sens, sur la raison de fond de l’enrichissement de ce qui allait devenir la zone euro : la circulation des marchandises, m’entends-je-dire. Pour résumer, plus un euro changeait vite de mains, plus il gonflait le revenu nominal des intermédiaires et des consommateurs. La faculté de se déplacer est au centre de l’enrichissement de nos sociétés.
— Mais : en Ile-de-France, 20 % de la surface est urbanisée. Le coût du logement entraîne de plus en plus loin les populations, condamnées à un transit incessant. Conséquence : le prix du transport s’établit à 15 % du budget des ménages, contre 11 % en 1960. Donc, en la matière, les ménages ont trouvé une limité : sous le Néolithique, chacun de nous avait accès en une heure à un rayon de 4 km ; aujourd’hui, à 25 000 km2. Mais à un prix qui n’est plus à la portée de beaucoup. En 2005 est sorti Le Territoire des hommes, de Jean Poulit. En 1998, il montre que la région Idf à construit 136 milliards de voies rapides… cela créant en retour 48 milliards de chiffres d’affaires induits par les possibilités nouvelles de se déplacer et donc de consommer, soit 130 000 emplois. En 2017, le prix des voieries a augmenté, les voitures polluent et sont personna non grata en centres-villes ; quant à nos maisonnettes de banlieue lointaine sur le modèle américain, elles nous enferment loin du travail et de nos liens familiaux. Pour les familles hors Paris, à 2 voitures, le budget va de 500 à 700 euros/mois…
— Le budget construction est sans cesse poussé à la hausse. Comment ? Facile : viabilisation (relier le terrain à l’eau, aux déchets, à l’électricité) : entre 20 000 et 40 000 euros/terrain pour une maison individuelle (si vous avez la malchance d’avoir le tout-à-l’égoût). Normalisation, règles de construction : si la zone est inscrite aux Bâtiments de France, comptez au moins 20 000 euros de plus pour votre projet individuel ; rajoutez de l’argent encore en zone de lotissement selon le règlement de celui-ci, puis selon l’exigence des règlements d’urbanisme. Par habitation, les normes techniques et exigences d’assurances sont devenues telles qu’elles rajoutent encore quelques milliers d’euros au compte de construction (30 à 50 euros/m2 selon le Centre scientifique et technique du bâtiment).
Le pourquoi des coûts vu par un lobbyist pro-nature (2010-2016) : instants vécus
Les règles énergétiques mises en place par Cécile Duflot sous Hollande semblaient avoir définitivement fait de la rédaction des permis de construire un méga-acte administratif, et donc engendrer des coûts certains au motif qu’elles rapportaient à terme. A ce moment-là, je démissionnais de la Commission logement du parti écologiste. Celle-ci était présidée par Emmanuelle Cosse, qui n’a qu’une formation de juriste et est surtout (à mon sens) une apparatchik. (Ah, je pourrais en raconter, ce serait tout un roman.) Samuel Courgey, spécialiste de l’énergétique du bâtiment, publiant à Terre vivante, très connu dans le milieu de la bio-construction, et qui était à la commission énergie du même parti démissionnait en même temps. Praticiens, nous sommes impitoyablement taclés par les « politiques », qui nous pressentent mal : à EELV comme partout ailleurs, je crois. Le fait que des cadres connus d’EELV comme Emmanuelle Cosse rallient le gouvernement « Hollande » contre les militants, le divorce d’EELV avec les écologistes de terrain, tout cela finalement fera fondre leur mouvement à ses niveaux historiques les plus faibles, alors que la problématique de la crise écologique était devenue première. Pour ma part, nous étions assez nombreux à avoir réalisé que beaucoup des dirigeants d’EELV avaient fait le choix de leurs ambitions devant les valeurs qu’ils étaient censés défendre. Quand on était dans le concret, on réalisait aussi leur inexpérience, vraiment sidérante, qu’ils cachaient derrière un dogmatisme s’appuyant sur… la technocratie des cabinets ministériels et du système de pouvoir. En revanche, ils étaient des tacticiens hors pairs sur le plan politique et institutionnel. Mais, enfin, ce n’est pas seulement avec ça que l’on se sauve d’une crise globale.
En outre, la loi sur la transition énergétique de Ségolène Royal limitait peu après tout photovoltaïque dans un périmètre de 500 m autour des monuments historiques (impliquant de demander l’accord aux monuments historiques), et donc de fabriquer et de vendre librement de l’électricité individuelle sur des milliers de km2 d’hyper-centres (correspondant aux secteurs protégés) : à ma connaissance, aucun écologiste de la législature 2012-2017 n’a protesté. Pour ma part, j’ai essayé d’empêcher à mon petit niveau cette disposition en tentant de convaincre Pierre Mollac (député EELV en Bretagne)… de convaincre le député EELV Denis Baupin qui s’occupait du logement. Or, Denis Baupin n’a jamais rien fait (il s’agit du député qui a été attaqué pour harcèlement sexuel). Après, je me suis fait dire que s’il n’aurait rien pu faire s’il l’avait voulu car c’était que François Hollande lui-même qui avait fait placer cette disposition dans la loi sur la transition… Je le souligne, tout cela avait lieu tandis qu’ils préparaient au gouvernement la conférence sur le climat. Ce n’est pas pour autant que toute cette loi sur la transition de S. Royal n’est pas une certaine avancée, mais j’en doute un peu. Enfin, je vous le dis, la petite histoire renferme la grande. Car, pendant ce temps, le climat…
Au final, la création architecturale elle-même a été tellement enfermée qu’elle rend très difficile la chute des coûts, parce que celle-ci passe en partie par les formes et les matières : « Les réglementations ont pris une telle ampleur qu’elles enferment la création dans un cadre étroit et condamnent la plupart du temps l’innovation » (Le Moniteur, 2007, Nicolas Michelin). Tout cela a fonctionné parce que les prix de marché grimpaient sans limites. Voilà comment le fait que l’on a divisé depuis 1950 par quatre ou cinq le temps de mise en oeuvre d’1 m3 de matériaux ne s’est jamais répercuté sur le consommateur individuel, mais que la plus-value absorbée par l’Etat, les grandes industries, les lobbies, les banques et les assurances. Comment réagir pour l’artisan, l’individu ? Etre créatif et anticiper… Démonstration en quelques principes.
Repenser l’habitat individuelle, collectif, les usines, les surfaces construites pour relancer l’économie et... nous sauver

- ne pas construire dans le périmètre des Bâtiments de France. Economie : 10 000 à 20 000 euros ;
- ne pas construire en lotissement. Regarder les plans locaux d’urbanismes : trop compliqués ? Allez ailleurs. Economie : 10 000 à 20 000 euros ;
- implanter sa maison face au sud ;
- être hors d’une zone reliée au tout-à-l’égoût ;
- limiter la taille de la maison : ça c’est majeur. La rendre évolutive, le prévoir dans le permis. Avoir des formes simples ;
- installer son habitat dans l’écosystème, faire qu’il serve l’écosystème et se serve de son écosystème d’une manière simple, en boucle courte : récupération de l’eau de pluie et utilisation pour tous les usages, gestion des déchets putrescibles via un composteur, toilettes sèches, production d’électricité photovoltaïque destinée au courant domestique voire, plus tard, au véhicule, chauffe-eau sanitaire à récupération de chaleur. Faire sortir un habitat des réseaux, c’est le faire sortir des charges d’eau, d’électricité et d’eau usée. Les techniques sont là. Pour l’habitat individuel, je les détaille sur le plan pratique dans un ouvrage, L’habitat bio économique, aux éditions Eyrolles : les économies de charges potentielles sont assez fortes, de l’ordre de 1 500 euros par an, mais l’ouvrage les minore certainement (les techniques ayant mûri, comme pour le photovoltaïque).
Emmanuel Druon, dans Entreprendre sans détruire (Actes Sud, 2016) a en fait transposé ce modèle dans le domaine de l’industrie, en l’occurrence la production de papier (Pocheco). Il chiffre également les économies et les gains : pour l’électricité, cela représente pour l’usine près de 350 000 euros. Une carte de la biodiversité qu’il a récréé est reproduite dans son ouvrage, à l’instars de ce qui peut se faire sur des surfaces même de 500-1 000 m2. De ce point de vue, l’idée que j’avais suivi dans un prototype en cours de finition par des personnes était une reproduction a minima de l’éco-système naturel, avec jardin potager en permaculture, mini-forêt, mare avec des dégradés de profondeur, surface herbeuse, courbes de niveaux diversement orientées, drains apparents et stockage à l’air libre de l’eau. Dans ce cadre, la bio-diversité se travaille ensuite en s’accroissant avec les plantations. Les surfaces construites, tant plates comme les toits, que verticales comme les murs, sont considérées comme des zones à végétaliser. Dans le modèle, l’intérieur lui-même accueille des végétaux. Cette biodiversité permet une grande production alimentaire… En plus que d’offrir un abri à la vie : « Arca Minore », l’association qui édite ces livres, signifie « petite arche ». Faire en sorte que chacune de nos maisons deviennent des arches, tel est le concept. Sur le plan symbolique, « arche » revêt aussi divers sens, mais l’approche est pragmatique.
Conclusion
Il n’est pas si difficile de s’inspirer de modèles conçus pour l’habitat individuel ou des usines reconverties pour les villes, mais le principal obstacle est qu’il s’agit d’une transition culturelle et que les réglementations sont bloquées, notamment par les corporatismes économiques et politiques. Combien les « mécaniques » de pouvoir ignorent la vie, tout le monde le constate. Mais, individuellement, aux six conditions que je détaille, il est possible de faire sa propre transition écologique sans demander aucune permission. Il faut penser « boucle courte » : en termes macro-économiques, ce sont là que se trouvent, je crois, les actuels gains de productivité, puisqu’on ne peut pas encore aller sur les autres planètes pour les détruire.