Retour d’une crise financière: risques pour les épargnants et tous les autres (P II)

Pierre-GillesBellin - Retour d’une crise financière

Retour d’une crise financière: risques pour les épargnants et tous les autres (P II)

Que se passerait-il pour nos comptes bancaires dans le cas d’une nouvelle crise financière ? Lumière sur la double stratégie de l’état et des banques. Par Pierre-Gilles Bellin, auteur des « Ecosolutions à la crise immobilière et économique » (Eyrolles).

La première réponse de l’état aux risques de retour d’une crise type 2008 est simple : « liquider » les liquidités. Pourquoi et comment ? Quels sont les enjeux pour nos comptes bancaires, du simple dépôt à vues aux plans d’épargne logement, et pour nos finances personnelles ? Dans la zone euro, le déficit public n’est plus que de 1,5 % du PIB, et la dette régresse (98,2 % du PIB global). Mais, si l’état ne rembourse pas sa dette, quelle serait sa première réponse pour anticiper une crise? Regardons du côté de la monnaie, monnaie-papier, monnaie métallique et comptes bancaires de toutes nature (qui font partie de la masse monétaire). Comment l’état et les banques anticipent-ils une crise financière ? Suite d’un premier article qui montrait les racines de la super-crise nous menaçant.
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Dépression de 1939 aux USA : les gens cherchant à récupérer leurs dépôts en cash à l'entreée d'une agence bancaire

Où se trouvent aujourd’hui les liquidités des Français (donc hors immobilier, lequel n’est pas « liquide ») ?

Le montant des liquidités des Français, de leurs comptes de dépôt à leurs comptes à terme (voir le détail ci-dessus) représente près de 1 900 milliards d’euros, soit presque le montant de la dette publique. 99% des Français ont un compte (pour 59% en moyenne mondiale).

Peu de "liquide" par rapport aux "liquidités"

En France, voici ci-dessous le montant des billets en circulation : 120 milliards, soit 6,3 % du montant des dépôts bancaires, 58 % étant des billets de vingt euros :

 

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Où se trouvent les liquidités des Français?

Shizuya NISHIMURA et Kazuhiko YAGO, deux étudiants japonais, ont reconstitué la masse monétaire en 1913 (http://www.persee.fr/docAsPDF/hes_0752-5702_2006_num_25_2_2592.pdf) : on voit (tableau ci-dessous) que l’or métallique représentait alors 29 % de la masse monétaire, et l’argent métal 11, 3%, soit en tout une quarantaine de pour cents. (1913 : c’était l’époque de la convertibilité du Franc en or, c’est-à-dire que tout billet papier pouvait être échangé dans ce métal. A l’époque, personne n’imaginait qu’une monnaie puisse ne pas être convertible en or :

 

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Masse monétaire en 1913 : plus d'un siècle est passé par là © Shizuya NISHIMURA et Kazuhiko YAGO
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La convertibilité en or des devises européennes fut définitivement abandonnée après la guerre de 1939-1945, les réserves d’or ayant servie à payer l’achat de matériel de guerre (entre autres), sachant qu’elles étaient convertibles en dollars qui lui-même était convertible en or. La convertibilité en or du dollar fut elle-même abandonnée par Richard Nixon en 1971, en partie parce que la France de De Gaulle transforma en grandes quantités ses dollars en or, pour casser le système de Bretton-Woods (comme cela s’appelait). Le cours de l’or s’envola (ci-dessous) :

 

En septembre 2017, l’once d’or atteignait environ 1 300 euros. Si on fait un zoom sur la période liée à la crise de 2008, on s’aperçoit que le cours de l’or bondit, illustrant bien ce qu’est une valeur refuge, c’est-à-dire une valeur qu’achète les investisseurs qui fuient les marchés financiers devenus incertains (source : France Inflation). L’état français possède une centaine de milliards d’or physique. Les Français possèdent eux-mêmes une quinzaine de milliards d’euros d’or, soit environ 400 tonnes, ou plus exactement 14 millions de personnes en possède chacune 50 g tout au plus, et ce surtout en comptant les bijoux (92 % de ce total).

Peut-il y avoir une monnaie purement numérique ?

Oui. L’histoire des monnaies est celle d’une abstraction croissante, d’une dématérialisation croissante qui suit la dématérialisation des échanges, suivant en cela l’expansion des communications numériques. Il est possible de faire fonctionner une économie sans argent liquide. Il existe une monnaie purement numérique inventée par un hacker anonyme, le « bitcoin », dont la valeur est déterminée par l’offre et la demande, tandis que le système comptable est engrammé dans des disques durs (les bitcoins que vous détenez sont des créances sur quelqu’un que vous ne connaissez pas, un peu comme tout billet, ou tout comme votre compte en banque est censé être une créance sur votre banque, c’est-à-dire une dette que vous détenez sur elle). Concrètement, toute cette comptabilité passe de disque dur en disque dur (pour décentraliser et garantir le stockage des données comptables), formant une chaîne de disques durs (qui peut être le vôtre) : c’est la « blockchain ». Mais aucune autorité centrale ne garantie la valeur de cette monnaie virtuelle : c’est pourquoi, sur Internet, des tas de sites loufoques proposent prétendument des bitcoins contre vos euros. Les disques durs peuvent être hackés, mais à part quelques escroqueries le système semble fonctionner, tout en restant marginal. Il permet de payer sans laisser de traces toutes sortes d’objets, et peut bien sûr servir des réseaux mafieux, ainsi qu’au blanchiment… Même si les mafieux détiennent en général des comptes dans des paradis fiscaux en monnaies bien officielles… Le bitcoin est très spéculatif : ainsi, la valeur du bitcoin contre l’euro n’a cessé de grimper, illustrant que le bitcoin est plus demandé qu’il n’est offert (en partie car il est rare.. et compliqué à utiliser. Mais vous pourriez échanger − et même vous pouvez̶ − échanger des bitcoins de smartphone en smartphone. Voir aussi « Monnaies digitales : aller simple vers le futur », par axiaman (28 septembre 2017, https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/monnaies-digitales-aller-simple-197204)

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L'envol de la seule monnaie numérique existante, d'origine privée (et inconnue)

Tout pays peut décider de numériser complètement sa monnaie : ainsi l’Inde l’envisage-t-elle, alors que le pays effectue 78 % de ses transactions en cash. C’est l’adoption par un pays de la technologie du block-chain, inspirée des bitcoins. L’Inde pourrait être suivie par la Chine (qui a interdit à ses nationaux d’utiliser le Bitcoin).

2012-2013 : quand un état européen suspend la convertibilité des comptes bancaires en billets. Sueurs froides à Chypre.

Bulle touristico-immobilière, artificialisation des côtes, fin de l’agriculture locale, bulle financière, blanchiment, déficits constants, secteur bancaire hypertrophié, le tout dans une île coupée en deux : après les défauts de paiement de la Grèce en 2011-2012, les banques de Chypre qui lui ont prêtée des milliards d’euros ne peuvent plus faire face à leurs pertes, notamment Bank of Cyprus. La crise est telle qu’une aide en urgence de 10 milliards d’euros est accordée par l’Union européenne (près de la moitié du PIB de la demie-île), en échanges de deux taxes, qui seront directement prises sur les dépôts bancaires (donc pas seulement prises sur les comptes des Chypriotes, mais sur beaucoup de fortunes russes qui profitaient de ce paradis fiscal) : 6,75 % sur les dépôts de moins de 100 000 euros, 9,9 % au-dessus de 100 000, le tout devant rapporter environ 6 milliards d’euros. Devant la panique qui pourrait aboutir à des retraits massifs d’argent liquide, les agences bancaires resteront provisoirement fermées. Refus des Chypriotes : finalement les dépôts de moins de 100 000 euros seront épargnés, mais au-delà de 100 000 euros plus de 40% des sommes déposées… seront finalement transformées en actions qui ne valent alors plus rien de la Bank of Cyprus… Quatre ans plus tard, le pays aura rebondi, grâce au tourisme et à sa fiscalité, et son droit bancaire anglo-saxon qui en fait une porte d’entrée idéale vers toutes les places anglo-saxonnes pour les capitaux russes (l’île, grecque et orthodoxe, sait bénéficier de sa proximité culturelle avec le quasi voisin russe).

Première réponse de l’état français : « liquider » les liquidités pour sécuriser sa dette

Développement du paiement sans contact pour les micro-règlements chez les commerçants ; interdiction des transactions en cash de plus de 1 000 euros ; disparition du billet de 500 euros. Selon Michel Sapin, ex-ministre de l’économie sous Monsieur Hollande, « La première volonté, c’est de faire reculer le cash et l’anonymat dans l’économie (…) Nous avons besoin de tracer les opérations suspectes. » L’économie criminelle formerait 5 % du PIB en France, le seul cannabis représentant 240 000 emplois, et faisant vivre indirectement plus d’un million de personnes (à mon sens une hypocrisie que le Colorado, aux USA, a totalement légalisé) ; mais l’ex-ministre visait sans le dire le travail dissimulé qui pèserait, lui, environ 10 % du PIB (20 % en Europe) selon un rapport du Conseil économique social (et environnemental) de 2006, soit un manque à gagner d’une trentaine de milliards d’euros pour les comptes publics.

On oublie au passage que le travail dissimulé concerne certes des entreprises, mais aussi beaucoup d’ouvriers et des donneurs d’ordres peu fortunés. A mon sens, l’avis de Michel Sapin est tout de même un peu téléporté : en multipliant par deux le nombre de juges, le nombre d’inspecteurs du travail, par exemple, l’état se doterait certainement de moyens plus suffisants ; quelques mois avant la crise chypriote, les fortunes russes les mieux informées avaient simplement transféré quelques milliards d’euros par des jeux de virement dans des lieux moins risqués. Mais, très précisément : la première loi Sapin a placé (en force) les inspecteurs du travail, hier indépendants (ce qui est peu connu), sous tutelle étatique, contre les syndicats. Monsieur Sapin n’a non plus jamais parlé de tracer et taxer les trading automatique, le shadow banking, cette finance fantôme inextricablement lié à la banque d’affaire. Sachant que c’est impossible de toute façon, car tout le back-office de la Bourse de Paris s’effectue à présent dans la banlieue de Londres, « notre » Bourse depuis longtemps dématérialisée n’étant plus qu’un compartiment de la place londonienne considérée dans son ensemble comme « off-shore », et comme un lieu de blanchiment.

Le vœu de Monsieur Sapin s’inscrit dans une tendance générale de traçage numérique, qui concerne tous vos règlements, de la baguette de pain au Kinder-surprise, avec le paiement sans contact. Il faut aussi relier cela au développement de logiciels de caisse qui vont être obligatoires à partir de janvier 2018, assurant la traçabilité du moindre paiement (si le commerçant fait une erreur, il doit suivre un protocole de rectification assez fastidieux). En fait, le problème d’un ministre de l’économie est d’abord le risque potentiel que représente le peu de liquidités existantes (120 milliards) par rapport au 2 000 milliards de dépôts en cas de faillite bancaire, dont l’une des causes pourrait être les retraits massifs par les déposants, leur perte de confiance : seuls en effet 6 % des comptes bancaires des Français sont convertissables en espèces… parce qu’après il n’y a plus aucune espèce. Cela signifie que si, en fait, votre compte en banque représente une créance que vous avez « consenti » à votre banque (un prêt) et qu’elle doit pouvoir vous rembourser « intégralement » en cash, si la monnaie papier disparaissait, nous resterions nus devant cette réalité : l’argent que nous déposons à la banque ne nous appartient pas.

En supprimant les liquidités, il semble à l’état qu’il diminue les risques d’un crash financier. En plus, il place l’ensemble des avoirs des Français sous la baguette de ses comptables : ceci est fondamental pour rétablir une balance structurellement déficitaire, rembourser des emprunts trop massifs, faire front à des besoins inattendus (exemple : l’impôt sécheresse de 1976 ; dès aujourd’hui, la lutte contre la submersion littorale en France − encore non chiffrée̶ – ; les 1,2 milliard de dégâts à Saint-Martin après le cyclone de septembre 2017 etc.). En outre, la loi Sapin II (2016) permet au gouverneur de la Banque de France de « retarder ou limiter », « en euros ou en unités de compte », les retraits de l’assurance-vie… les rachats eux-mêmes de portefeuille peuvent être interdits pour six mois. Et, en effet, les épargnants français détiennent une bonne partie de la dette publique (43 %), via l’assurance-vie. Autre limitation passée inaperçue des retraits en liquide : dans un bureau de poste autre que celui de votre domicile, vous ne pouvez plus retirer que 800 euros. En général, le montant maximum d’un retrait est de 1 200 euros ; au-delà, il faut poser une demande de mise à disposition de fonds. Depuis le 1er janvier 2016, les retraits ou dépôts en liquide supérieurs à 10 000 euros doivent être déclarés à Tracfin, le service du ministère de l’économie contre le blanchiment. C’est à travers tout cela que l’on lit que l’état français se prépare activement à gérer une crise financière 2008-bis. Ce qui me semble assez normal, d’ailleurs. Les terroristes ou les mafieux ont depuis longtemps la méthode pour occulter leurs transactions numériques. D’ailleurs, le même Michel Sapin estimera finalement à 30 000 euros le coût d’un attentat terroriste, ce qui revenait à se contredire (et 8% des attentats coûtent moins de… 100 dollars. Source : Norwegian Research Establishment).

Deuxième réponse de l’état et des banques : faire payer l’argent à ses utilisateurs

Faire payer tous les règlements, supprimer les distributeurs bancaires, c’est une économie majeure de fonctionnement (on supprime toute la « petite » banque manuelle aux guichets), une augmentation de la sécurité (je connaissais une agence qui avait un hold-up tous les deux mois) et un business (accroître les commissions bancaires). Je connaissais bien quelqu’un qui travaillait à l’inspection d’une banque (un peu comme la Chambre des comptes pour un établissement bancaire) : il appelait les agents des guichets les « GAB humains ». C’est extrême, mais ça donne un certain esprit. Faire payer les dépôts à vue : c’est une demande des banques depuis trois décennies, demande qu’avait vertueusement rejetée Pierre Bérégovoy, premier ministre de François Mitterrand dans les années 1990. On oublie souvent que les parcours de carrière dans la « haute » fonction publique passent souvent par la banque, et qu’ainsi les banques ont un poids « régalien » majeur. Ayant géré comme « consultant-junior » le lobbying de l’association qui réunissait les « back-officers » français, c’est-à-dire les informaticiens de gestion, je peux dire que ça ne pose aucun problème technique de faire payer ou de bloquer tous les retraits (c’est dans les logarythmes du GIE cartes bancaires) ; par ailleurs, il nous suffisait de téléphoner au fonctionnaire spécialisé du ministère pour avoir très vite une disposition qui nous était favorable, que seules quelques dizaines de personnes comprenaient mais qui concernait chacun, et ne passait pas par la loi (ce qui eût été interminable). (Je le sais, je l’ai fait ; par contre, j’ai oublié les détails techniques, mais non l’amicale bienveillance de mon interlocuteur)…. ou alors par un amendement après la xième navette assemblée-sénat que seul comprenait complètement le député initié par le lobbyist… et encore. Les back-offices bancaires sont même équipés pour gérer toutes les administrations, y compris de Sécurité sociale (qui ont fini par créer leur propre back-offices automatisés). En fait, les bases techniques de cette organisation ont été posées en France lors de la dématérialisation des actions et obligations et de la création de la cotation boursière en continu : vingt ans plus tard, l’augmentation des capacités de calcul et de stockage rend tout encore plus possible. A l’époque où je formulais dans mon coin cette idée de privatiser la Sécu (j’ai changé depuis), mon patron de l’époque, l’un des meilleurs consultants de la « Place » de Paris, me dit que ce n’était pas « gérable » socialement.

Le paiement, simple composante du marché global des données

Quand on essaye de lire le Michel Sapin entre les lignes, on réalise tout de même l’absolu convergence entre son souhait de tracer l’ensemble des paiements et le souhait des agences de sécurité, porté par François Hollande, de tracer l’ensemble des données numériques pour détecter en amont les « signaux faibles » du terrorisme. En ce qui concerne l’argent au moins, cela ressemble plutôt à l’argument d’un habile vendeur. En fait, il faut bien comprendre le saisissement des responsables économiques et politiques au moment des révélations d’Edward Snowden sur la systématisation des écoutes de la NSA, de la manière dont elle opère pour capter les données en amont (sur vos propres PC) à celle dont elle conserve tout, de manière symétrique à la conservation des données par Google ou Facebook : gérer ces données, les lire, les utiliser via des applications, les rentabiliser représentent un marché dont l’Europe et la France ne pouvaient pas être absentes, et un axe de recherche majeur où l’industrie de la « sécurité » est en pointe : les recherches sur « l’intelligence » artificielle ou non, l’ordinateur quantique (ce ce qu’il permet de décrypter tous les codes actuels) entreront, selon leur temps propre, dans l’économie officielle ; sur le mode de développement de l’Internet (et de beaucoup d’industries), du militaire vers le civil. On peut résumer cette industrie par : donnée ; cryptologie ; paramétrage. Nous sommes donc cordialement invités à croire que nous ne somme pas en sécurité ou à dire : « Moi, je n’ai rien à cacher ! » ; ça, on va vérifier… : un enfant dont les gênes sont en fait ceux du patron de votre femme ? Tendance à visionner des vidéos pornographiques homosexuelles ? Achat récent d’un canard vibrant ? Tendance à l’embonpoint, qui fait que votre banque, justement, vous prêtera à un taux légèrement supérieur ? Etc. Dans cette industrie, l’argent est la première des données, celle du lien commercial, permettant de voir où se trouvent les besoins. Pour créer complètement ce marché et le rentabiliser, il est donc préférable d’abstraire totalement le paiement. Intérêt financier d’un état sur-endetté, stratégies bancaires et sécuritaires se conjuguent pour faire disparaître la monnaie matérielle, et finalement privatiser les comptes bancaires et la monnaie elle-même, alors qu’il s’agit soit de biens privés pour les dépôts, soit de biens publics pour les pièces et billets. (Le paiement en pièces ou billets est aussi une facette de la vie privée de l’individu, pas seulement une manière d’échapper à la loi ou à l’impôt).

Conclusion de la Partie II

Il faut comprendre que tout haut-fonctionnaire (du préfet au fonctionnaire du Trésor) doit, comme objectif prioritaire, favoriser les parties de l’économie dont le poids est le plus important, et cela est le cas du secteur bancaire français : c’est le gènôme de ce type de fonctionnaire. Cependant, en matière de finance, la créativité bancaire, l’invention de nouveaux instruments, de méthodes parallèles, les marchés off-shore, etc., seront toujours en avance sur le régulateur… et il est presque impossible à celui-ci de gérer la prise de risque globale (en plus dans un espace international). En matière financière, l’état avance donc comme s’il n’avait qu’un rétroviseur et que son pare-brise était masqué (pour reprendre l’image du président du Crédit Lyonnais à l’époque du crash de cette banque)… L’état a donc peu connaissance en temps réel de l’état du risque financier global du pays, tant cela est dur à paramétrer. La variable la plus prévisible, c’est donc l’épargnant, ses réactions, son ignorance bien légitime, le tout bien catalogué. Faire payer l’argent, augmenter les commissions permettent d’améliorer le compte d’exploitation des établissements bancaires, de le sécuriser, ainsi que d’augmenter leur ratio de fonds propres, et donc les activités de banque d’affaire, les plus rémunératrices… mais peu contrôlables, malgré tous les « stress tests » bancaires imaginables (puisqu’une crise obéit à des lois peu connues au départ, sans quoi elle ne serait pas une « crise »).

Mais, pour un état en banqueroute, le traçage numérique des paiements et l’abstraction de la monnaie ne sont que les méthodes les plus récentes pour régler son problème. Donc, comment l’état français a-t’il imposé sa loi lorsqu’il faisait banqueroute ? C’est-à-dire le quart de son temps « historique ». Ce sera l’objet de la Partie III de cette série d’articles.

Pierre-Gilles Bellin, économiste et essayiste

Annexe 1 : La garantie des dépôts en France (https://www.garantiedesdepots.fr/). Elle est limitée à 100 000 euros par établissement de crédit. Cela veut dire que si vous avez un livret A, un LDD et un Livret d’épargne populaire contenant tous les trois 90 000 euros et que sur votre compte vous avez 20 000 euros, cela fait 110 000 euros… et que vous en perdrez 10 000 puisqu’au-delà la garantie des dépôts n’est pas appliquée.  Si vous avez un compte joint, on en tient compte ; si vous avez une société, les comptes sont regroupés et « traités comme ayant été effectué par un déposant unique distinct des associés ».

Annexe 2 : le poids des commissions bancaires dans le chiffre d’affaires des banques a atteint près de 40% . Le poids des banques dans l’économie est d’environ 2,5% du PIB, ce qui est peu. Dans les 10 premières banques européennes, la France en classe 4 : maintenir ce classement est un objectif régalien de l’état. La mobilisation des ressources des déposants français est une condition pour peser au niveau mondial, comme par exemple pour les industriels français de l’eau et des déchets qui ne doivent leur prépondérance internationale qu’à l’importance de la facturation de leurs services en France.

Annexe 3 : pour mieux comprendre les dessous financiers du marché des données sécuritaires : Bill Binney, ex-directeur technique de la NSA, avait développé le logiciel « Thinkthread » (traduction non littérale : « Trouve ceux qui menacent de passer à l’acte »), et ce juste avant la destruction des tours jumelles de New-York… Or, la NSA a bloqué l’application de son logiciel… car pas assez coûteux : ce qui lui a permis de vendre au Congrès américain une rallonge financière de plus d’un milliard de dollars. Bill Binney démissionna. De là à penser que le logiciel aurait permis d’empêcher l’attentat, il y a loin tout de même. Quand on a réalisé bien plus tard que les terroristes avaient finalement développé l’attentat low cost, on s’est dit qu’on allait continuer à surveiller les mouvements de fonds de manière de plus en plus fine, à la recherche du signal « faible » qui, croisé avec l’identité du fiché, signifierait une augmentation du risque de passage à l’acte : en même temps, on augmentait exponentiellement la masse des données traitées. Le gain sécuritaire est infime, mais peu importe : c’est un business et les développeurs, une fois les outils rentabilisés dans le domaine sécuritaire, les proposent au secteur privé. Avec les objets connectés, on pourra croiser et prédire à peu près tous les comportements, le coût et bénéfice à venir des services financiers et d’assurance (par exemple, en croisant avec les données de santé et d’habitudes alimentaires). Mais les risques majeurs ne répondent pas au même modèle prédictif, c’est du moins ce que je tentais de montrer dans l’article 1. Dans les coûts, on n’intègre pas non plus le risque de faire confiance aux préjugés d’une élite sécuritaire que n’encombrent pas les questionnements et qui me semble cacher de nombreux échecs en prétendant qu’il faut monter en intensité dans la surveillance.

Annexe 4 : étymologies de « crise » : en indo-européen, la racine « krei » signifie « distinguer », « classer », « passer au tamis ». En grec « krisis » aussi, mais en plus la faculté de distinguer, voir, comprendre, faire un choix. En latin « crisis » rajoute à tous ces sens la notion « d’assaut ». Philosophiquement, la crise est donc un instrument… de connaissance.

2017: quand anticiper une nouvelle crise type 2008? (1/3)

Pierre-GillesBellin - 2017 nouvelle crise type 2008

2017: quand anticiper une nouvelle crise type 2008? (1/3)

Poser cette question exige de regarder tous nos engagements, de les relier aux besoins de financements liés à la bio-crise, au changement énergétique et l’insécurité engendrée par ces évolutions. La situation en 2017 s’est en fait très dégradée depuis 2008 et nous approchons d’un retournement de cycle. Probabilité accrue par un récent rapport du FMI sur le niveau record de la dette mondiale.

La France a bénéficié de la part des marchés financiers d’excellents taux de prêts (ci-dessous, les taux à dix ans de la dette). En mars 2017, les taux atteignaient un peu plus de 1 %. En 2016, en volume, le PIB de la France, soit la somme de tous les chiffres d’affaires des acteurs économiques, a été de 1,6 % en valeur, l’inflation de 0,4 % (donc le PIB a augmenté de 1,2 % en valeur nette). La contribution de la dette à la hausse de l’activité en France a donc été entièrement permise par l’accroissement de cette dette, puisque les règles européennes permettent que le déficit de l’état atteigne 3 % du PIB (le déficit de 2016 étant de 3,4 % du PIB, soit environ 70 milliards d’euro). On rappellera que, selon la loi de finance 2017, le total de recettes fiscales nettes est de 292 milliards d’euros. C’est comme si vous gagniez 1 300 euros par mois et que vous en dépensiez 1 600 : au bout d’une année vous seriez endetté de 3 600 euros, en dix ans de 25 200 euros, ce qui signifierez un remboursement en capital (hors intérêts) de 300 euros par mois pour rembourser le tout en sept ans (je schématise tout de même un peu, mais pas tant que ça tout de même).

Pour résoudre son besoin de financement, a France a surtout fait appel aux marchés financiers. La durée de vie de sa dette de 2 200 milliards d’euros est de sept années. Mais c’est une vue de l’esprit : ce serait le cas si on remboursait en sept années… en fait si on rembourse il faudra plutôt compter 30-40 ans (bon, le graphique date de 2011, mais l’esprit est resté le même).

Article en deux volets en écho à deux articles très intéressants parus sur Mediapart : Dix ans après : pourquoi cette crise sans fin ?, de Philippe Riès ; Reprendre le contrôle de la création monétaire pour échapper à l’austérité, de Romaric Godin. Poser la question d’une crise de liquidités en France, et donc dans le monde, exige de regarder l’ensemble des engagements de la France, liés à un contexte général de crise bio-climatique, de changement de modèle énergétique et d’insécurité internationale. Ce contexte semble réduire l’horizon temporel au-dessous de l’horizon temporel de remboursement de la dette publique. (En annexes de la P1, je rappellerai les mécanismes de la création monétaire, pour répondre à cette idée que l’on peut reprendre le contrôle de la création monétaire.) Dans le deuxième volet de cet article, je tenterai de montrer quelles solutions innovantes la France met actuellement en oeuvre ; puis, en PIII, je monterai ses réponses historiques dans de multiples contextes de survi,e afin de rééquilibrer ses comptes. Toutes ces idées je les avais en fait amorcées dans Les écosolutions à la crise immobilière et économique (2009, Eyrolles). Actualisation et concrétisation huit ans après.

Première convergence : crise de la dette et cycle financier

Pierre-GillesBellin - 2017 nouvelle crise type 2008

Philippe Riès a parfaitement souligné la cadence du cycle des crises financières, ci-dessus (remarquer que le business cycle, le cycle des affaires, forme un rebond après les crises toujours un peu inférieur au rebond qui a suivi la crise pétrolière de 1973). Depuis 2008 (« Great financial crisis » sur le schéma précédent) le besoin de financement de l’état français a été le suivant selon la Cour des comptes : 250 milliards en 2009, 200 milliards en 2016.

Pierre-GillesBellin - 2017 nouvelle crise type 2008 2

Pour payer une partie de ce déficit, les prélèvements obligatoires ont été considérablement augmentés, passant de 934 milliards d’euros en 2008 à 1083 en 2015 (+ 150 milliard environ par rapport à 2008. Cumulé, cela représente sur les huit années plus de 450 milliards d’euros, soit environ un quart de la dette totale en capital !

Pour résoudre son besoin de financement, a France a surtout fait appel aux marchés financiers. La durée de vie de sa dette de 2 200 milliards d’euros est de sept années. Mais c’est une vue de l’esprit : ce serait le cas si on remboursait en sept années… en fait si on rembourse il faudra plutôt compter 30-40 ans (bon, le graphique date de 2011, mais l’esprit est resté le même).

La France a bénéficié de la part des marchés financiers d’excellents taux de prêts (ci-dessous, les taux à dix ans de la dette). En mars 2017, les taux atteignaient un peu plus de 1 %. En 2016, en volume, le PIB de la France, soit la somme de tous les chiffres d’affaires des acteurs économiques, a été de 1,6 % en valeur, l’inflation de 0,4 % (donc le PIB a augmenté de 1,2 % en valeur nette). La contribution de la dette à la hausse de l’activité en France a donc été entièrement permise par l’accroissement de cette dette, puisque les règles européennes permettent que le déficit de l’état atteigne 3 % du PIB (le déficit de 2016 étant de 3,4 % du PIB, soit environ 70 milliards d’euro). On rappellera que, selon la loi de finance 2017, le total de recettes fiscales nettes est de 292 milliards d’euros. C’est comme si vous gagniez 1 300 euros par mois et que vous en dépensiez 1 600 : au bout d’une année vous seriez endetté de 3 600 euros, en dix ans de 25 200 euros, ce qui signifierez un remboursement en capital (hors intérêts) de 300 euros par mois pour rembourser le tout en sept ans (je schématise tout de même un peu, mais pas tant que ça tout de même).

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Pour réduire le déficit de la France à 0 % du PIB de 2017 à 2023 (vraiment une hypothèse d’école), en cinq années donc, il faudrait trouver 0,6 % du PIB chaque année, soit 12 milliards d’euros par an. L’impôt sur les sociétés rapporte 30 milliards par an, l’impôt sur le revenu 73, la TVA 150 milliards. En total cumulé sur cinq années, il faudrait donc trouver 180 milliards d’euros. Si les taux d’emprunt baissent sur les marchés financiers, cela sera d’autant moins qui sera demandé aux contribuables : cependant, après un creux prononcé en juin 2016 les taux ont presque repris 1 % en douze mois. Notons que pour la France ils atteignaient plus de 3 % en 2010 : cela souligne la fragilité de la situation actuelle, à la merci des anticipations des marchés financiers. Si l’on prolonge le graphique du « financial cycle » présenté par Philippe Riès que j’ai repris au début de l’article, 2017-2023 « peut » tout à fait correspondre au retour d’une crise type 2008 : « peut », et non « doit » ; ce sont les magies des statistiques, on connaît le cycle mais non la fréquence des cycles. Comment les traders pourraient-ils anticiper le choc récessif d’une demande en baisse de 0,6 % du PIB par an pour la France ? Comment cela va-t-il se traduire pour les taux que nous payerons effectivement ? Je les vois mal avoisiner les 0 % en tout cas, comme cela a été le cas en juin 2016. Or, de la réponse des traders dépendra l’amplification d’un choc récessif sur l’économie nationale, donc européenne. Sous Monsieur Hollande, on s’était donc contenté de réduire le déficit d’un prudent 0,2 % par an. 43 % de la dette publique est détenue par les Français eux-mêmes : les placements que leur proposent les établissements financiers panachent actions, obligations et, parmi les obligations, les obligations émises par les états eux-mêmes, réputées sûres car un « pays ne fait pas faillite ». Concrètement, beaucoup de Français possèdent des placements en assurance-vie, tout simplement pour assurer un complément à leurs retraites si des fonds venaient à manquer. En fait, un Français qui achète via une assurance-vie une OAT (« Obligation assimilable du Trésor ») se rémunère, certes, par le taux d’intérêt que lui sert cette obligation dont la sûreté est vantée par les établissements financiers, mais il la paie en même temps à travers ses impôts.

2016, le cri d’alerte du Fonds monétaire international (FMI). Enfin un chiffrage de la dette mondiale publique et privée

Marialuz Moreno Badia est cheffe de division adjoint au Département des finances publiques du Fonds monétaire international ;  Vitor Gaspar est Directeur du département des finances publiques du FMI. Ils viennent de publier Les mauvais grands acteurs : une vue mondiale de la dette (https://www.imf.org/external/french/np/blog/2016/100516f.htm). Ils ne décrivent ni plus ni moins qu’une bombe à retardement, que synthétise le graphique ci-dessous, un article daté de fin 2016 tout de même mais passé inaperçu en France en raison de la campagne présidentielle :

« Jusqu’à présent », expliquent les deux analystes, « un tableau complet de la dette mondiale faisait défaut. Pour la première fois, l’édition d’octobre 2016 du Moniteur des finances publiques a chiffré le volume de la dette (…). Et ce tableau n’est pas beau à voir. La dette mondiale atteint un record de 152 000 milliards de dollars, soit 225 % du PIB mondial (…). Près de 100 000 milliards de dollars, soit environ deux tiers, sont des engagements de sociétés non financières et de ménages, c’est-à-dire des dettes privées. (…) Comme Fisher (un économiste) l’avait dit, cette dette élevée représente un obstacle majeur pour la reprise de l’économie mondiale, qui accentue le risque de tomber dans une spirale dette-déflation ». Les auteurs pointent l’endettement de la Chine, de beaucoup de pays « avancés », de pays émergents. « (Cette situation) sème le doute quant à la santé fondamentale des positions budgétaires. »

Cette dette privée est si importante qu’en cas de crise elle ne pourrait être transformée en dette publique (voir annexe sur le refinancement des créances douteuses par une banque centrale), en raison des « positions budgétaires fragiles » de nombreux états. L’article insiste : les récessions financières sont plus longues et plus profondes que les récessions normales « avec, en fin de compte, un lien avec la dette et les déficits publics ». Ces déficits amplifieraient une telle récession ; on ne peut enfin attendre de la croissance qu’elle permette de réduire cette dette privée, notamment en Europe, en raison de sa faiblesse. Cet article a le mérite de souligner le rôle de la dette privée : ce fut en effet celle-ci qui, aux Etats-Unis, fit exploser le système financier. Il s’agissait d’une dette immobilière, ou plutôt hypothécaire, que garantissaient non les revenus des emprunteurs (trop faibles), mais l’augmentation hypothétique du prix du m2 de leurs maisons au cas où, ne pouvant plus assumer leurs prêts, ils revendraient leurs biens (ou que les établissements financiers le feraient pour eux, plus exactement, après les avoir expulsés). De surcroît, on ne savait plus ni qui avait emprunté, ni dans quels établissements : les créances douteuses étaient noyées dans des sortes de « paniers », des titres de titres, rachetés, vendus, au comptant, à terme, etc. Tout ou presque étant imaginable.

Retour en France : la convergence de besoins accrus liés à une dette sans précédents, au changement climatique, à l’insécurité internationale et la fin d’un modèle énergétique

Il faut pointer l’inertie problématique d’un modèle dont les décideur savent sans forcément pouvoir le dire qu’il est à bout de souffle : le Premier ministre a certes géré la communication d’Areva, ce qui ne veut pas dire qu’il est responsable de sa gestion, mais que chacun est conscient du problème. La crise du modèle énergétique est illustrée par la Cour des comptes qui montre bien comment elle alourdit déjà les finances publiques. Cela concerne la recapitalisation d’Areva par l’état, le gestionnaire des déchets du nucléaire. Cela est le résultat indirect de l’achat d’Uramin, « l’affaire » Areva, soit l’achat d’une mine d’uranium… sans minerais. Ceci a fini par entrer de manière indirecte dans le déficit public de 2017 pour 0,1 % du PIB tout de même. (Coût total recapitalisation : 5 milliards d’euros). Selon le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, la gestion d’Areva a été « scandaleuse », « une gestion aussi indigente des deniers publics (étant) absolument inacceptable ». On peut dresser les mêmes constatations pour Super Phénix, l’EPR de Flamanville, le centre d’enfouissement de Bure (le Minitel, le Plan calcul, l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes… et toutes ces choses là qui mises bout à bout font un inventaire surréaliste).

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Il faut en effet se pencher sur la gestion des déchets nucléaire. D’abord, le centre d’enfouissement de Bure (Meuse) : la note, estimée par EDF à 15 milliards d’euros, serait de 32 milliards, mais pourrait être de 60, voire de 75. Tout ceci doit être provisionné par EDF sur son bilan, en débit (et le provisionnement sur son compte d’exploitation). Cela donc renvoie au problème d’EDF lui-même : en 2005, le Groupe à la recherche de financement stable et à long terme avait, en 2005, convaincu cinq millions de petits actionnaires d’acheter son action à 32 euros ; en mars 2017, l’action du groupe, détenu à 75 % par l’état, était tombée à environ 6 euros. Une recapitalisation de 4 milliards d’euros a été lancée, dont 3 supportés par l’état. Cette chute de l’action s’explique notamment par les coûts liés à prolongation des 58 réacteurs du groupe, estimée à 55 milliards d’euros (rapport Cour des comptes) ; s’y rajoutent la dérive des coûts des centrales EPR, à Flamanville (9 milliards au lieu des 4 annoncés), en Angleterre (21 milliards supportés aux 2/3 par EDF) et en Finlande ; en plus, le démantèlement des réacteurs est estimé à 60 milliards d’euros. Par ailleurs, dans la réflexion sur la sécurité nucléaire, l’accident survenu à Fukushima Daiichi au Japon en 2011 a poussé l’état à demander à EDF des investissements de sécurité d’autant plus importants que l’opérateur souhaitait prolonger la durée de vue des centrales : ces investissements comptent pour une dizaine de milliards dans les coûts déjà annoncés. En outre, il n’existe aucun provisionnement en cas de catastrophe nucléaire en France : cela a coûté de 200 à 400 milliards au Japon ; en Ukraine, 3 % du PIB est consacré aux conséquences de Tchernobyl. Il y a enfin quelquechose de suprêmement ironique dans un scénario… plutôt positif : on commence à parler d ‘une filière nucléaire dont le combustible serait les déchets, d’ici une dizaine d’années (mais sans rapport avec la filière de Super-Phénix des Français, encore un échec)… Hypothétique? De toute façon, EDF s’est engagée boulet au pied à nager dans la filière EPR. Si c’est confirmé, l’investissement Bure serait l’un des pires choix industriels qu’a fait la France.

S’y ajoute, mais c’est presque anecdotique, le coût de la pose du compteur électrique Linky aux dérives dénoncées par la Cour des comptes dès 2015 (société Enedis, anciennement ERDF). Dans mon ouvrage Téléphone portable, compteur Linky : les risques, j’indique (pardon de me citer) : Linky, c’est tout de même au moins 5 milliards d’euros, et certainement 7 ou 8. Et la Cour des Comptes d’écrire (Rapport annuel 2015) : …le succès du compteur Linky reste suspendu à des perspectives financières fragiles (la valeur actuelle nette du projet à l’échéance de 2034 ne serait que de 0,2 milliards d’euros pour un investissement de 5 milliards). Même appréciation que celle de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies, qui pointe un dérapage vraisemblable des coûts de 2 à 3 milliards d’euros. Il est vrai qu’additionner tous ces chiffres, tels quels, peut paraître dépourvus de sens. Bure, c’est au moins 32 milliards réparties sur… 140 ans. Flamanville, c’est presque cash ; le démantèlement des réacteurs, personne ne sait sur quelle durée ils seront étalés (la centrale nucléaire fermée dans les Monts-d’Arrée se démantèle depuis une dizaine d’années, sans perspective d’une date d’achèvement vraiment fixée et des coûts sans cesse croissants). Mais peu importe : toute dette s’additionne, qu’elle soit de court ou de très long terme. Ici, le total se chiffre à 183 milliards d’euros 2017.

 A cela, il faut rajouter le coût de la transition énergétique, que j’avais tenté de chiffrer en 2009. La rénovation et l’isolation des logements : 30 000 euros/foyer soit, pour 26 millions de ménage, 780 milliards d’euros ; le coût d’adaptation du parc automobile français à l’électrique à 10 000 euros/véhicule, soit 360 milliards d’euros (pour 36 millions de véhicules, en partant de chiffres américains sur le coût de remplacement des seuls moteurs) ; la création d’une infrastructure pour les bornes de rechargement, tant collectives qu’individuelles, 180 milliards. Dans ce sens, de manière plus globale, le rapport du GIEC (Groupement international d’expert sur le climat) indiquait en 2008 qu’une hausse de la température mondiale de 2°C  coûterait 3,6 % du PIB mondial par an, qu’une réduction des émissions carbone de 60 à 96 % des émissions de carbone de 2,5 à 4,9 % de la richesse mondiale par an : il est vrai que ces chiffres sont en peut-être en baisse avec la chute du coût des installations photovoltaïques et l’augmentation considérable de leur rendement… mais les marchés n’aiment pas l’incertitude.

Les coûts croissants du watt électrique centralisé (produit en usine) se sont croisés dans certaines zones assez ensoleillées avec le coût décroissant du watt décentralisé du photovoltaïque (produit sur son toit)  il y a un ou deux ans, préparant le lit de la crise d’adaptation d’EDF (laquelle est multi-engagée à des prix de rachat aux particuliers, rappellons-le, tant pour le soleil que pour l »éolien). Lié au cycle financier si bien décrit par Philippe Ariès, c’est ajouter à la probabilité actuelle d’une crise type 2008, Donc, avec le nucléaire, nous arrivons à un  besoin de financement de 1 300 milliards d’euros pour la France. Si nous voulons réduite le déficit de la France sur cinq années, il faudrait trouver en plus un total de 180 milliards. Total : 1 500 milliards, qui doivent donc s’ajouter aux 2 200 milliards de la dette publique actuelle. Si j’étais trader, je prendrais des options indicielles à la chute des indices boursiers et monétaires (que j’estime à 40% pour le CAC, sans nouvelle crise inattendue, liée par exemple à la sécurité internationale). Lorsqu’Emmanuel Macron a voulu réduire le budget de la Défense de 850 millions en juillet 2017, il ne faisait que tirer les conséquences de ces chiffres, qui induisent inévitablement une réduction des opérations extérieures, dans un contexte de désordre international… où cela ne serait pas souhaitable, en effet. Le programme nucléaire semblait garantir l’indépendance nationale et une source abondante de plutonium pour la force de frappe. Le trop apparaît aujourd’hui comme l’ennemi du bien, sachant que le pays, en pointe sur les énergies renouvelables grâce à des innovateurs géniaux, les a systématiquement débaschés, empêchant le cycle de destruction-création fondamental dans la pensée de Schumpeter… ou du moins le décalant vers d’autres pays. Ce débat sur les 850 millions de la Défense a signalé qu’un iceberg émergeait de plus en plus, qui nécessite certainement d’élargir sa vision.

La perte de l’horizon temporel nécessaire au paiement de la dette liée au besoin de financement de la France : 2017-2023, super-convergence de toutes les crises ?

Comment lire le graphique ci-dessous ?

Il y a un effet de ciseau entre l’effondrement des populations animales sauvages et l’augmentation des populations humaines. C’est la fin de la biodiversité et des forêts, l’effondrement des captures liées à la pêche mondiale ; la chute des rendements agricoles, déjà montrée par les chiffres de l’ONU (dues à la remontée des sécheresses). L’homme, en tête à tête avec le porc, la vache et les céréales OGM dès 2063 ? (Noter que j’ai pris une base 10 pour l’effondrement des populations animales en 1970. Mais il faudrait mieux le faire à partir des Grandes découvertes de la Renaissance, ce serait là encore plus frappant ; en 1970, fin des Trente Glorieuses et en pleine agriculture industrielle, la situation était déjà très dégradée).

Cela a lieu sur fond d’augmentation des températures mondiales : ici, + 2°C en 2063. C’est le scénario moyen du GIEC. Ici, on suppose qu’il est dépassé, peut-être avec l’effet méthane de la fonte des permafrosts arctiques. L’effet est exponentiel sur les populations animales et végétales.

La population humaine, qui consomme en 2017 plus de la moitié des ressources biologiques renouvelables, en consommera la totalité dès 2063. A cette date, il reste 1,6 % des populations animales sauvages par rapport à 1970.

Ce qui n’avait pas été fait jusqu’à présent (c’était trop tôt), c’est lier ces bio-évolutions avec les cycles financiers de la manière suivante :

Le besoin de financement de la France augmente, voire est quasiment doublé (c’est l’originalité de mon hypothèse) : l’échec du nucléaire, la nécessité d’investir dans les énergies renouvelables, le coût du passage du parc automobile à l’électrique, l’isolation des logements double le besoin de financement du pays. Selon la banque Morgan Stanley (août 2017), ces énergies coûteront moins chers que les énergies actuelles (charbon, gaz, nucléaire) dès 2020. Ne sont pas pris en compte les investissements dans la biodiversité… Si l’on veut que l’agriculture industrielle respecte la biodiversité, il y a une baisse des rendements d’une quinzaine de pour cents, compensable par la réduction de la consommation de viande (et l’augmentation en nutriments de telles productions végétales : tout n’est pas que quantitatif). N’est pas pris en compte le coût des catastrophes naturelles, comme la montée des eaux, bien sensible sur les côtes du pays. Le coût et donc sous-estimé : en plus donc du fait qu’il faut solder la facture EDF-Areva-ERDF/Enedis… au moins 10 % du PIB. Et ré-investir : 3 % du PIB/an. Si pour empêcher l’émigration des populations décimées par l’effondrement de leurs écosystèmes, la réponse n’est que militaire… on ne peut plus prédire aucun coût, puisque nous entrons dans une guerre généralisée, sur fond de dissémination nucléaire (les coûts du réarmement mondial ont ré-atteint les niveaux de la Guerre froide). Si elle mixe les solutions, ce sera une dépense de plusieurs milliards d’euros/an.

Le cycle du CAC 40 (Bourse de Paris) : en 2017, l’indice a commencé à plafonner aux sommets qui ont précédés la crise de 2008. Le problème vient en outre du fait que les états, sur-endettés, n’ont plus de marges de manœuvre pour s’endetter davantage, sans même tenir compte du coût de la transition énergétique et de la protection des écosystèmes ; j’ai donc extrapolé un effondrement du CAC 40 dans la période 2017-2023 (le mandat de Monsieur Macron, pour résumer), en fait une remise à niveau avec le coût réel d’une action (Price earning ratio, PER).

En outre, cela correspond bien au retournement du cycle financier que montrait Philippe Riès, dont j’ai juste retourné les données (les – devenant des +) pour mieux faire comprendre les choses. (En annexes, je montrerai pourquoi on ne peut pas faire fonctionner la « planche à billets ».)

Conclusion à la partie I

Je n’ai pas souligné le fait que j’ai extrapolé un remboursement de la dette de France de 3 % du PIB par an jusqu’en 2063 : pour dire que c’est impossible. Je souligne aussi que j’ai prolongé les tendances de manière arithmétique, non géométrique. Bien sûr, le coût des énergies renouvelables plonge, comme l’a souligné la banque Morgan-Stanley en août 2017, ce qui condamne les structures type EDF dès 2020 (l’action a été divisée par cinq depuis son entrée en Bourse, accentuant encore la méfiance des épargnants pour les actions ; comme pour le Crédit Lyonnais, il faudra certainement créer une structure de relégation des actifs douteux d’EDF et Areva, voir d’ERDF, sur la base du financement des contribuables). En somme, cela fonctionne comme si toutes les courbes se trouvaient en ciseau à la même période « P », en 2017-2023 : restent aux traders à décider l’instant « T », puisqu’en nous endettant nous leur avons abandonné notre souveraineté (ainsi qu’aux moteurs de trading automatisés). Je ne prends même pas en compte les marchés gris, qui échappent à toutes règles, et la volonté de Monsieur Trump de dérégulation financière.

Deux siècles auparavant, aux XIXe et XXe siècles, la solution migratoire avait permis de transférer des dizaines de millions d’Européens surtout en Amérique du Nord et du Sud, mais cette soupape n’existe plus (à ce titre, les compagnies maritimes s’étaient reconverties du commerce d’esclaves noirs aux transports de migrants européens dans la misère). La richesse de l’Europe et des Etats-Unis ne serait pas posssible aujourd’hui sans le commerce des esclaves, le sucre de canne, les épices, et la colonisation des Amériques (l’extraction de minerais, la destruction des forêts, des espèces animales à poils type castor, loutre, des populations de cétacés) : en résumé, on avait de l’espace, et même un espace immense (le quart des terres émergées !), de la « bio-ressource » et de la main d’oeuvre, soit gratuite et non qualifiée (les esclaves), ou plus qualifiée et presque gratuite (les migrants européens). Pour donner un autre exemple très parlant, l’augmentation de la population européenne avait été telle que la pêche en lacs et rivières s’étant effondrée, on avait développé des flottes de pêche à la morue sur les bancs de Terre Neuve, au Québec récemment découvert… au début, la densité des poissons était telle que l’on remplissait les barques presque à la main. Aujourd’hui, on regardera l’effondrement de la pêche en mer, notamment côtière et artisanale : ce sont des centaines de millions de personnes dont la vie se trouve de plus en plus fragilisée, en plus des populations des marges désertiques type Sahel, Erythrée ou Moyen-Orient. S’y ajoute la désagrégation sociale et étatique sur fond de terrorisme.

Nous n’avons pas de planète de rechange. Mais si vous aimez la SF : du V2 (1944) à Ariane 5 (2017), la charge spatiale emportable est passée de 0,75 tonnes (alors de l’explosif) pour une masse au décollage de 12,5 tonnes, à 10 tonnes pour une masse au décollage de 780 tonnes, ce qui fait une petite progression de 13 en 70 années… et ce sans compter les 50 années précédentes de mises au point théoriques, ce qui nous fait parvenir à un total de 130 années pour cette technologie. Un mauvais sujet de roman : une population de prédateurs se jetant sur les planètes vierges ou non, cela ne correspondrait peut-être pas à ces relations internationales d’un genre inédit : il n’est plus interdit de penser que l’on se heurterait à des oppositions… à moins que dans cette période de faiblesse nous ne soyions nous-mêmes finalement prédatés (voilà un autre sujet de roman). Quoi qu’il en soit, ce cycle de 130 ans est celui du développement de la quasi-totalité des technologies, informatique, moteur à vapeur, moteur à explosion, aviation actuelle… pour le moteur électrique (et les batteries), il a été retardé de trois-quart de siècle par la concurrence de l’essence ; pour les énergies renouvellables, en France du moins, les lobbies l’ont au moins ralenti de vingt-trente ans. Dans un contexte crucial comme celui du rétrécissement de l’horizon temporel lié à la viabilité de la planète pour l’homme (et au remboursement de la dette publique et privée), ces cassures convergent et nous mettent à mon avis hors-limite.

A présent, la seule solution envisageable constitue à purger les passifs financiers, supprimer des normes souvent inventées pour perpétuer des monopoles économiques, poser un modèle de gouvernance national et international, limiter le réchauffement de manière drastique, désindustrialiser l’agriculture, naturaliser les zones artificialisées, accepter les migrants, afin de gagner le temps nécessaire à la transition démographique en cours qui verra la population humaine diminuer naturellement. Ce renouvellement nécessite aussi, comme le disait Philippe Ariès, à laisser s’exprimer le modèle schumpetérien de création-destruction des activités, en adoucissant peut-être le passage par la création d’un revenu universel. Tous les outils techniques et sociaux existent pour résoudre ces problèmes. On pourra aussi lire à ce sujet le débat sur la dette publique entre Messieurs Mélenchon et Attali, daté du 5 juin 2010, invités par Daniel Schneidermann à l’occasion du livre écrit par l’ancien conseiller de François Mitterrand, au titre choc : Tous ruinés dans dix ans ? Ils conjuguent de manière inattendue le même cri d’alarme et des diagnostics convergents (voir : https://www.youtube.com/watch?v=LeAI_O2Zmc4), mais sans envisager le coût de la bio-crise. Sept années après ce livre qui apparaîtra certainement prophétique, la situation est toujours la même dans son essence, mais beaucoup plus dégradée à mon sens sur le plan planétaire, environnemental et aussi sur le plan des finances publiques françaises.

Si je peux hasarder un pronostic plus politique, la situation sera alors assez urgente pour réunir les composantes de la société, nationale et internationale, à l’image du Conseil national de la résistance en 1943, où chacun concède pour arriver à un programme consensuel : une crise financière comme celle de 2008 pourrait donc donner une extraordinaire opportunité de mobilisation aux Jean Moulin ou Roosevelt qui sauront la saisir, mais tout autant pour les populistes que pour ces figures de libérateurs.

Annexe 1 : qui crée la monnaie, qu’est-ce que la « planche à billets » ?

A la Renaissance, les banque (souvent lombardes ou vénitiennes) ont créé des sortes de titres : les marchands en Italie leur remettaient des pièces d’or, par exemple, et elles leur donnaient en échange des billets qu’ils allaient échanger dans d’autres banques à Troyes ou à Amsterdam (par exemple) contre d’autres pièces d’or, leur évitant de transporter de l’or, et leur permettant d’acheter des marchandises sur place. Puis les banques se sont aperçues que leurs clients leur laissaient en permanence à peu près 80 % de leurs dépôts : elles ont réalisé qu’elles pouvaient prêter de l’argent à partir de ce stock permanent. Quand une banque crée une dette de 80 euros à partir d’un dépôt de 100 euros… la banque crée 80 euros. Il s’agit de la plus grande source de création monétaire à l’heure actuelle. Si vous avez en dépôt 100 euros, la banque est obligée de vous donner un billet de 100 euro si vous lui réclamez votre argent ; si tous les déposants lui réclament leurs dépôts, elle fait faillite. Pour une banque centrale (Banque centrale européenne, Banque de France), c’est plus simple : elle imprime un billet 100 euros, portant du même coup 100 euro à l’actif et au passif de son bilan. Si 1000 milliards de billets circulent, elles possèdent un bilan de 1 000 milliards, tant à son passif qu’à son actif. Mais à la différence d’une banque, vous ne pouvez rien lui demander en échange de votre billet de 100 euros (depuis que les devises ne sont plus convertibles en or, soit depuis 1971, quand Nixon a suspendu la convertibilité or/dollars. Les autres devises ayant abandonné depuis longtemps la convertibilité avec l’or, n’ayant plus assez d’or après les deux guerres mondiales). Ci-dessous, graphique montrant le système :

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Une relation « MV = PT », unit la monnaie et l’économie « réelle », soit Masse monétaire X Vitesse de circulation de la monnaie = Niveau de prix X Somme des transactions (MV = PT).

Si on crée trop de billets de banque, leur masse en circulation ne correspond plus à l’activité réelle, et les billets perdent de leur valeur : c’est l’inflation. Comme l’état avait trop facilement recours à cet expédient pour équilibrer ses comptes, une loi de 1973 a interdit à la Banque de France de faire fonctionner la « planche à billets ». Cette loi a été reprise par la Banque centrale européenne : celle-ci n’agit plus sur l’économie que par le biais des banques, et ce quand celles-ci se refinancent sur le marché monétaire, selon qu’elles manquent de liquidités ou en possèdent trop. La BCE espère que le coût de ce refinancement, le taux d’intérêt, sera le levier indirect qui, augmentant ou baissant le coût du crédit des banque aux particuliers et entreprises, permettra d’agir sur l’économie. Encore faut-il que les banques aient envie de prêter et les acteurs de l’économie envie de s’endetter (ou le puissent).

Annexe 2 : que se passe-t-il en cas de crise de liquidité ? Pourquoi les états s'endettent-ils lors d'une crise ?

Si, comme cela a été le cas pour la France, on se rend compte que plusieurs dizaines de milliards d’euros prêtés par les banques ne sont pas remboursables (pour résumer), la banque centrale (Banque centrale européenne aujoud’hui, Banque de France hier) rachète ces dettes non remboursables (ou créances douteuses) aux banques pour éviter la faillite du système monétaire. En bilan, les banques centrales se retrouvent avec dans leur actif 10 milliards d’euros (par exemple) prêtés aux banques qui leur ont remis en échange leurs créances douteuses (et en passif, car ces créances ne valent plus rien). Dans le cas de la France, les banques ont remboursé au final (les banques françaises étaient peu tombées dans le piège des prêts hypothécaires américains, dits « subprimes »). Pour racheter ces créances douteuses, les banques centrales soit créent de la monnaie (par la « planche à billets »), soit l’empruntent aux marchés eux-mêmes… donc, in fine, c’est au contribuable de rembourser. Comme les recettes fiscales fondent  avec la crise économique, qu’il faut relancer la demande intérieure, les états peuvent en outre emprunter sur les marchés internationaux et augmentent leur endettement (pour payer les fonctionnaires, les travaux publics, etc.) : c’est ce qui s’est passé en 2008. Ce qui est regrettable pour la France, c’est que l’endettement public ait démarré sous François Mitterrand, sans que cela soit vraiment nécessaire : conséquence, peu à peu, et bien avant 2008, le besoin de liquidités transnationales est devenu structurel, alimentant non seulement des investissements mais surtout des dépenses de fonctionnement. Et encore peut-on s’interroger sur le sens « d’investissements » : un sur-équipement des collectivités locales en médiathèques ou parkings n’est pas à mon sens un investissement. En tout cas, on a consommé du sur-endettement sans que cela soit nécessaire : donc, depuis 2008, nous n’avons plus de réserves monétaires pour la « bio-crise » mondiale, surtout si elle se conjugue avec une crise classique de bulle spéculative.

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Drôles d’affaires de la rénovation du Zoo de Vincennes : confidences de l’initiateur

Pierre-GillesBellin - rénovation Zoo Vincennes confidences

Drôles d’affaires de la rénovation du Zoo de Vincennes : confidences de l'initiateur

On a oublié que c’est une association qui est à l’origine de la rénovation du Zoo de Vincennes. Retour sur cette histoire qui figurerait en bonne place dans un cours de lobbying, pour une réussite… ayant abouti à un échec mais à une réussite absolument inconnue. Histoire d’une spirale aboutissant à un rapport de la Cour des Comptes. Par Pierre-Gilles Bellin, initiateur de la relance de ce projet.

2014 : réouverture du Zoo de Vincennes (https://en.wikipedia.org/wiki/Bois_de_Vincennes). Février 2017 : la Cour des comptes tire l’alarme sur les finances du Zoo et du Muséum d’histoire naturelle de Paris. 2004 : notre association, exprimant les vœux de scientifique à l’intérieur ou proches du Muséum (contraints au devoir de réserve), lançait un concours d’architecture fictif pour remettre à l’ordre du jour la restauration du zoo des années 1930, qui tombait en ruines. Du Figaro (https://groups.google.com/forum/#!topic/fr.misc.transport.urbain/3nYW_5_D8Sg), à FR3 en passant par Métro, beaucoup de médias rendirent compte de cette initiative « sympathique » ou un peu « folle » (mégalomane serait plus exacte – consulter notre site Arca Majore, « l’Arche majeure » en latin, mais il fallait frapper l’opinion publique par des images grandioses). Dès lors, les tutelles ministérielles dont dépendent le Muséum d’histoire naturelle de Paris (Enseignement supérieur et de la recherche, Environnement aujourd’hui, Culture à l’époque je crois) lancèrent un appel d’offre vers des cabinets d’architecture puis, de là, trouvèrent les financements (ci-dessous, l’un des projets : chacun se distinguait par son genre, serres disparaissant en ondulations pour l’un, zones unies du lac, du zoo et de Bois pour l’autre, plutôt « urbain » pour celui-ci, etc.).

Quand une minuscule association veut sauver le Monde, comment faire ?

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Nous constations, les deux fondateurs de cette association, l’Association pour la Rénovation du Bois de Vincennes, une logique dramatique de destruction du vivant ; et que l’outil dont disposait la France, le Muséum d’histoire naturelle, avait décliné dans son poids relatif (et absolu) depuis Buffon, Jussieu ou Linné. Le délabrement du Zoo (dont seul le grand rocher avait été rénové grâce à Jack Lang (ce qui a été absolument oublié, je n’ai trouvé aucun lien pour l’illustrer) était emblématique de ce déclin.

Or, ce qu’on ne réalise pas, c’est qu’il y a dans l’Est parisien un regroupement de plusieurs milliers de scientifiques du Vivant, de Jussieu au Muséum en passant par quelques autres laboratoires (http://renovation.associati.free.fr/articlepierremerlin.HTM) ; que la protection et la reconstruction de nos écosystèmes sera une source puissante de création d’emplois : pourquoi ne pas faire de la protection et de la restauration du Bois de Vincennes et du Zoo un emblème international, qui dirait l’excellence de nos professionnels pour quand le problème se posera de manière encore plus aigüe au niveau mondial ? Par ailleurs, depuis la fondation du « Jardin du Roi », ancêtre du Muséum, aucun projet n’inscrivait notre pays dans un grand mouvement, comme avait été la classification des espèces : nous proposâmes de créer à Vincennes une serre qui serait une réédition… réussie… de l’expérience Biosphère aux Etats-Unis (un écosystème clos : pour une visite quoique un peu « pub », voir http://www.nbcnewyork.com/blogs/1st-look/The-Future-Full-Episode.html), nous inspirant d’une équipe du Centre national d’études spatial (CNES), qui menait une expérience d’autarcie absolue (l’expérience Mélissa, ci-dessous), afin de pouvoir faire vivre dans l’espace hommes, plantes… et animaux ?… pourquoi pas ? Une Arche pour le Vivant, en quelque sorte, à l’est de Paris, face à l’Arche des Droits de l’Homme, à l’ouest.

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Nous convainquîmes des scientifiques du Muséum de nous donner leur programme pour la rénovation du Zoo, celui-là même qu’ils donnaient en vain à leur propre Direction Générale (cette précision est importante), qui devint le programme de notre concours d’architecture fictif. Nous convainquîmes certaines écoles parisiennes d’architecture de nous suivre, réunissant des équipes françaises, franco-allemandes et des étudiants américains de toutes origines. Le docteur et explorateur Jean-Louis Etienne (il ne le mentionne pas, mais voici le lien de cet homme adorable : http://www.jeanlouisetienne.com/) accepta de présider le jury du dit concours qui se tint à l’Aquarium tropical du Musée de la Porte Dorée, lequel jury réunissait des personnalités qualifiées, des représentants des communes avoisinantes, donc du Val-de-Marne (UMP) et de Paris (donc PS) ; par exemple, Paris était représentée par George Pau-Langevin, qui deviendra Ministre des Outre-Mer sous François Hollande (https://www.facebook.com/georgepaulange20). Le tout sous l’œil des cameras de télévision. Cela a fonctionné : les projecteurs étaient enfin à nouveau braqués sur le Muséum et le zoo, qui a engagé la rénovation.

Vision de l’intérieur du Muséum : un préalable indispensable à la réussite

Il était évident que nous ne pouvions rien faire si nous ne comprenions rien à la problématique interne du Muséum : ce qui était significatif, à l’époque, c’était qu’un Directeur Général administratif avait remplacé le traditionnel Directeur Général qui était d’ordinaire un scientifique. Comme Jacques Chirac avait été élu en 2002, il avait presque aussitôt mis un homme proche de lui à la Direction Générale, et ce fut Bertrand-Pierre Galey, haut-fonctionnaire issu du Ministère de la Culture, que j’avais eu comme professeur… de droit administratif. Il y avait un vrai problème de gouvernance au Muséum, de dérives budgétaires comme de manque de moyens, voire de direction au sens noble de ce terme ; aux scientifiques, le nouveau Directeur général parlait un langage nouveau où résonnaient les mots « commandement », « gestion », « privé » ; de ma position, je voyais bien les conflits, qui s’étaient mis à recouper la problématique droite-gauche.

Et voici qu’arriva au nouveau Directeur Général un nouveau problème, parfaitement imprévu : un concours d’architecture fictif téléguidé en partie de l’intérieur même de l’institution qui soulignait, pour le moins, que le Muséum en tant qu’organisme de recherche était à la remorque de la recherche internationale. Bertand-Pierre Galey reçut donc à contre-cœur le trublion que j’étais, qui traînait derrière lui ces gigantesques panneaux d’affichage, dont le dessin de 5 m de longueur, au trait, magnifique, génial, de l’équipe américaine. (voir le site Arca majore, http://renovation.associati.free.fr/) ; immense planche que j’étalais à terre en grands froissements, dans le propre bureau de Buffon où il avait installé son imperium, sur ce parquet encaustiqué… tandis que mon ex-professeur de droit administratif, très agacé, me demandait presque de ne pas le faire. Il regarda ailleurs, par les fenêtres, regarda le moins qu’il put la planche, puis me dit un peu à brûle-pourpoint qu’au Ministère de la Culture il avait été spécialiste des « grandes manifestations culturelles » (je compris par la suite combien cela donnerait le « la » à la rénovation du zoo et aboutirait à son échec partiel). Il faut quand même savoir que lorsqu’on sort de l’ENA la culture est à la fin du classement, les corps les plus prestigieux étant la Cour des comptes, le Trésor, etc.

Mais mes sources le dédouanèrent plutôt, en m’expliquant qu’au Muséum les problèmes administratifs, de statuts, etc., étaient devenus prégnants. Bon, soit. Je ne comprenais pas plus pourquoi il insistait tant auprès de moi sur le fait d’être de « droite », dans ce milieu ou tout le monde est de gauche, si cela ne créait pas de problème de gouvernance, mais en même temps il était ainsi quand il était mon maître de conférence : il fallait qu’il se déclarât sans cesse conservateur, mais peu nous importait nous trouvions plutôt sympathique qu’il tente de nous éclairer sur le droit administratif (une sorte de bénévolat condamné à l’échec ; je reconnais aussi qu’il semblait très attaché au Muséum). Je lui demandais si, tout de même, notre projet fictif n’était pas trop cher pour un Etat déjà sur-endetté (on m’avait demandé de le tester, car des gens craignaient le recours à un partenariat public-privé) : il me répondit (à peu près) que rien n’était trop cher pour l’Etat. Je m’étonnais. Il me livra alors comme une vérité essentielle que le caractère régalien de « l’Etat » faisait que l’Etat, justement, avait toujours les moyens. Je continuais à m’étonner. Là, il me dit que lui était parfait connaisseur des contrats de droits public-privé. Nous avions donc confirmation.

Ce qui m’ennuyait c’était que je l’indisposais, le mettais dans une certaine rage ; peut-être lui apparaissais-je un peu comme un « Jeanne d’Arc » de la nature ? Cette position était très délicate pour moi, je savais dès l’origine que par instinct on ne confierait jamais une mission à l’américaine à un homme hors du sérail, en plus supposé « de gauche ».

Ou, pendant ce temps, le Ministre de la Culture de Jacques Chirac, Jean-Jacques Aillagon, se prend les pieds dans notre tapis, considérablement élargi par une campagne de presse du Figaro ; où nous nous retrouvons avec un Musée de l’immigration à la Porte Dorée, en lieu et place du projet ministériel de Musée des arts décoratifs

Dans notre projet, nous envisagions d’unir au zoo le musée de la Porte Dorée par un lien physique, où se développerait un mini-lagon tropical (ci-dessous, l’un des quatre projet : on voit le musée de la Porte Dorée, le lagon, le périphérique parisien sous l’une des serres).

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Or, voici que nous apprenons que Jean-Jacques Aillagon, alors Ministre de la Culture, veut faire de ce musée un Musée des arts décoratifs. Si le bâtiment est un magnifique exemple de l’architecture des années 1930, et que la position de Monsieur Aillagon était donc très compréhensible, cette idée ruinait notre concours sur le plan médiatique. Las. (Ci-dessous, une magnifique photo des années 1930. A cet époque, il s’agissait du « Musée des colonies ». Jacques Chirac et Monsieur Toubon ont retourné cette idé, pour dédier le monument à l’immigration… au-dessous, se trouve l’Aquarium tropical, une merveille).

Mais il s’avérait que, pour des raisons que j’ignore toujours, la « rédaction culture » du journal Le Figaro (alors très étoffée) ne voulait pas du « projet Aillagon ». Ni une ni deux, j’appelle le conseiller Culture de Jacques Chirac à l’Elysée, au culot ; j’arrive au secrétariat, explique mon problème et… on me passe celui-ci. Là, en deux mots, j’explique que la Porte Dorée ce n’est ni le lieu, ni l’endroit… mais que seul serait cohérent un… « Musée de l’immigration » (allons : on cherchait une place pour celui-ci, je le savais bien. Jacques Toubon se battait pour cette idée, principalement).

Suit un échange de courrier, et le Conseiller (dont j’ai malheureusement oublié le nom) me fournit « l’attache » d’un conseiller à la culture de Monsieur Aillagon, rue de Valois. Lequel me reçoit. Là, pour Monsieur Aillagon, ma venue était le message de l’Elysée que son projet était plié, que l’Elysée voulait l’immigration à la Porte Dorée, d’autant que Le Figaro publiait un long article illustrant notre projet par ses vues les plus spectaculaires (par diplomatie, l’Elysée fournit des signes que l’habitué comprend… plutôt que dire les choses directement… et le grain de sable que j’étais était ce signe).

Et ce fut par ce jeu de synchronicités typiquement jungiennes que le Musée de l’immigration prit place Porte Dorée. (http://www.palais-portedoree.fr/)

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Comment notre association fut alors marginalisée, éjectée et oubliée, tandis qu’était oublié notre projet centré sur les sciences du Vivant de l’Est parisien et notre idée de réinscrire de manière forte et symbolique la nature dans la capitale

Et nous retombâmes dans le jeu droite-gauche. Il faut ici que je rende hommage à l’ancien Maire de Paris, Bertand Delanoë, pour m’avoir avec son intelligence écouté défendre ce projet transversal fondé sur les sciences du Vivant pour l’Est parisien, aux écologistes de l’époque de nous avoir voté une « subvention d’urgence » (sinon c’était la faillite de l’association) ; mais les conseillers PS n’ont pas suivis : trop politiques, certainement, ils n’avaient pas la vision économico-scientifico-pratique qu’avait eu, par exemple, l’initiateur du développement du plateau de Saclay, le sénateur Noë. A Vincennes, il n’y aurait pas d’Arche pour la vie. Seul en subsisteraient la rénovation inaccomplie à mon sens d’un zoo, et quelques souvenirs sur notre site Arca Majore (http://renovation.associati.free.fr/, voir sommaire : « Repenser la nature dans la ville : le cas de Paris, du Bois et du zoo de Vincennes »)

La Direction Générale du Muséum lança une consultation d’architectes. J’étais devenu son adversaire. Pour contrer le mouvement associatif citoyen que j’avais lancé, elle fonda une structure consultative d’associations, présidé par un homme incontestable dans le milieu écologique, qui sait faire l’unanimité et dont il ne faut jamais dire de « mal » : même s’il nous aurait invités, qu’aurions nous fait dans ce comité, en plus pendant toute une décennie avant que le zoo ne fut rebâti ? Le maire de Saint-Mandé me coupa le micro au cours d’une plaidoirie publique, le maire de Vincennes me reçut pour me signifier de ne pas me « prendre pour un scientifique », la municipalité de Saint-Maurice nous accorda 100 euros de subvention sans rien y comprendre, le député-maire de Maisons-Alfort me fit dire par son assistant parlementaire qu’il ne pouvait pas régler nos problèmes sur sa « cassette personnelle » (quand on connaît depuis les dérives de la réserve parlementaire). Tous ces maires étant de « droite », comme le DG du Muséum, mais mon propos n’avait jamais été de jouer la gauche contre la droite, ou inversement. Bien des années plus tard, les écologistes d’EELV de Maisons-Alfort refuseront mon article sur ce thème pour leur site : il n’était pas « approprié »… à la carrière d’une militante locale qui me voyait arriver dans ce parti, brièvement, sans que pour autant cela ne fasse jamais décoller sa carrière. Le grain de sable que j’étais n’insista jamais : j’étais passé depuis longtemps à autre chose.

Conclusion : crise financière, organisationnelle et de projet au Muséum

Ce qui est ironique, c’est qu’une partie de la force créative de nos jeunes architectes surdoués est passée au projet gagnant, car j’ai eu quelques entretiens « off » avec l’agence qui a décroché le premier prix de la consultation et lui ai passé nombre d’idées, de tuyaux et sous-tuyaux. Pour rien, juste pour l’amour de l’art. Ce qui a en résulté, c’est que le projet gagnant était beaucoup-beaucoup trop cher, et que ça a été une première débandade pour la crédibilité des organisateurs. Vite oubliée cependant grâce à leur habileté médiatique.

L’erreur publique a été de délier le problème zoo de Vincennes-du problème Bois de Vincennes-du problème science du Vivant-du problème emploi et vie économique de l’ensemble Est parisien : nous payons toujours les conséquences de l’absence de vision régalienne et des divisions administratives et politiques Paris-proche banlieue, et de l’absence d’un homme pour tout relier qui aurait pu et du être à mon sens le DG de l’époque du Muséum. « The wrong man in the right place », comme on me dira à la conférence de l’UNESCO sur la crise du Vivant, un peu plus tard… conférence présidée par Jacques Chirac qui fit le discours d’ouverture, je crois (le président de la dite conférence déménageant le mois suivant de Paris à Montréal où il avait trouvé les moyens de travailler. Mais ne peut-on rien de plus pour cette recherche française et européenne ?). (http://portal.unesco.org/fr/ev.php-URL_ID=24543&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html)

Je ne vais pas épiloguer sur le rapport de la Cour des Compte 2017 : « Le Muséum national d’histoire naturelle : une mutation inachevée, une institution fragilisée par le Zoo de Vincennes ». L’établissement doit faire face à un « déficit majeur », engendré par des « choix stratégiques imprudents ». 127 millions d’euros ont été apportés par une société privée dans le cadre d’un « partenariat public-privé », et le coût de remboursement s’élève pour le Muséum à 20 millions d’euros par an, avec des recettes de 12,6 millions, en raison de 912 000 visiteurs au lieu de 1,7 million (chiffres 2015). Les hypothèses de fréquentation auraient été surestimées du fait de « la volonté de présenter un niveau de recettes suffisant pour équilibrer le montage financier ». En clair, le coût des billets est trop élevé pour les familles. Quand, sur notre site Arca Majore nous avons compris en 2005 que les recettes ne seraient jamais au rendez-vous, nous avons conseillé un zoo limité sur le modèle du zoo du Bronx à New-York, pour des recettes maximales afin de financer des budgets de préservation. Et c’est le contraire qui s’est passé, un déficit de plusieurs millions d’euros annuels au détriment des programmes scientifiques de fond. Mais je dirais que nous sommes dépassés par ces mécaniques hors-sol, où se conjuguent conservatismes, manque de discernement, de sens pratique, jalousies et coups fourrés, inculture et irréalisme, pour tous sans distinction (Y compris moi, donc.) (Rapport complet de la Cour des Comptes sur le Zoo et le Muésum : https://www.ccomptes.fr/Publications/Recherche-avancee/%28SearchText%29/zoo%20de%20vincennes)

En morale, les professeurs ne professent jamais ce qu’ils croient professer, les professés leur enseignent tout autant, et c’est ainsi que nous évoluons ou croyons le faire.

Ce fut en tout cas ainsi que nous obtînmes à la Porte Dorée le Musée de l’immigration. Grâce à Jacques Chirac et à l’assistante providentielle de l’un de ses Conseillers. (Ci-dessous, l’une de nos multiples correspondances.)

L’explosions des charges de logement : quelles solutions écologiques ?

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L’explosions des charges de logement : quelles solutions écologiques ?

En 2009, je sortais chez Eyrolles « Ecosolutions à la crise immobilière et économique », suivant un ouvrage intitulé « L’habitat bio-économique » : j’avais choisi comme angle d’approche une analyse ancrée dans les coûts et l’espace tels que je les voyais dans le bâtiment individuel, étant alors maître d’oeuvre de maisons écologiques et créateur d’une éco-maison autonome fondée sur la boucle courte.

En 2009, je sortais chez Eyrolles Ecosolutions à la crise, suivant un ouvrage intitulé L’habitat bio-économique : j’avais choisi comme angle d’approche une analyse ancrée dans les coûts et l’espace tels que je les voyais dans le bâtiment individuel, étant alors maître d’oeuvre de maisons écologiques et créateur d’une éco-maison autonome fondée sur la boucle courte, concept qui inspirera plus tard la rénovation d’une usine entière (dont rendra compte l’entrepreneur Emmanuel Druon, dans Ecolonomie, chez Acte Sud, 2016). Mon propre livre partait d’une micro-analyse économique rendant compte du pourquoi de l’explosion des charges de logement pour tenter une analyse plus globale, en montrant que notre façon d’habiter l’écosystème comme si nous en étions extérieurs était l’une des raisons de la crise économique actuelle.

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Pourquoi des fins de mois si lourdes ? Des raisons… très écolos

— L’idée du livre était que dans un espace terrestre restreint nous consommions 40 à 50 % de la biomasse (source Leakey et Lewin, 1997), et que nous en sortions nos déchets organiques en les brûlants pour la plupart ; s’y ajoutaient en France 3 milliards de m3 d’eaux usées qui finissaient sous forme de boues stériles mêlées à des molécules toxiques, donc non réutilisables. Conséquences : le coût du ramassage et du retraitement des déchets atteint 300 milliards en OCDE (Fondation C-L. Mayer) ; le complexe « ordures » aux USA représentant 22 % du PIB selon Paul Hawken. A l’époque, une fonctionnaire du ministère de la santé français m’expliquait que les toilettes sèches étaient contre « l’intérêt national ». Vrai de vrai. Quand les syndicats d’ordures ménagères sont en concession (par exemple : Véolia en région parisienne), les augmentations ne sont pas contenues. Pas question pour les délégataires de faire du compostage des déchets biologiques à la source : c’est une perte de chiffre d’affaires. Il vaut mieux tout brûler ou installer des chaînes de séparation physiques. Le tonnage, c’est le marché.

— Dans notre pays, les pesticides utilisés par l’agriculture n’ont cessé d’augmenter, tandis que les solutions de purifications de l’eau devenaient de plus en plus onéreuses pour faire disparaître ces cocktails pesticides-engrais-résidus de médicaments : conséquence, une conjonction d’interêts fait atteindre au m3 d’eau potable les 4 euros dans de nombreux endroits (l’augmentation est deux fois supérieure au coût de la vie ; on paie en fait les effluents agricoles, car il suffirait d’interdire tout épandage autour des points de capture des sources).

— En Bretagne, 11 % du sol sont artificialisés, ces 11 % étant aussi la surface solide du globe consacrée à l’agriculture. La terre hyper fertile d’Île-de-France voit chaque année disparaître 40000 ha. De manière mondiale, les rendements s’accroissent mondialement de 1,3 %/an, mais les rendements céréaliers tiennent péniblement les + 1%/an, tandis que la consommation de terres  nouvelles(+ 1%/an) permet de faire la soudure avec le boom des populations. En France, la population a gagné 17 millions de personnes dans le dernier demi-siècle. Cela crée donc une pression continue sur les terres constructibles et une tendance à l’augmentation de leurs prix : dans les dix dernières années, dans les zones les plus denses, la progression du m2 de l’ancien a été parfois de 100 % (dans des cas extrêmes toutefois, en proche banlieue parisienne). Pourcentage du budget-habitat chez nous : de 13 à 25 %.

— Dans le même temps, les terres gagnées sont les terres fragiles des franges des zones climatiques (ou humides), et le réchauffement du climat induit une chute du rendement agricole. Le tout implique pour les zones plus tempérées une pression migratoire (qui reste à 80 % dans le pays lui-même. Restent 20 % que l’on retrouve sur les routes internationales, vrais chemins de croix de l’esclavage)… Quoi qu’il en soit, la pression humaine s’accroît et, avec elle, le prix des terres, de l’eau, des aliments. C’est mécanique.

— Autre exemple : Andrew Marshall, conseiller de la défense au Pentagone, explique en 2004 que 10 % de pluies en moins en Australie c’est une réduction de 12 % du poids du bétail. Or, les marchés internationaux n’ont besoin que d’anticipation portant sur des déséquilibres de quelques pour cents pour porter les prix a des niveaux plus que supérieurs. Exemples : dans Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO (2006-2015), il est noté qu’une baisse de 1 à 2 % de la production alimentaire entraîne une hausse de 9 à 13 % des prix.

— Au moment de la création de l’Euro, j’en faisais un petit livre complaisant aux Editions Gallimard (en tant que travailleur précaire), sous la houlette lointaine du ministre Pierre Moscovici, mais sous la houlette plus rapprochée des directeurs de cabinets du commissaire européen chargé de la bascule Franc/Euro. J’interroge donc ceux-ci sur, à leur sens, sur la raison de fond de l’enrichissement de ce qui allait devenir la zone euro : la circulation des marchandises, m’entends-je-dire. Pour résumer, plus un euro changeait vite de mains, plus il gonflait le revenu nominal des intermédiaires et des consommateurs. La faculté de se déplacer est au centre de l’enrichissement de nos sociétés.

— Mais : en Ile-de-France, 20 % de la surface est urbanisée. Le coût du logement entraîne de plus en plus loin les populations, condamnées à un transit incessant. Conséquence : le prix du transport s’établit à 15 % du budget des ménages, contre 11 % en 1960. Donc, en la matière, les ménages ont trouvé une limité : sous le Néolithique, chacun de nous avait accès en une heure à un rayon de 4 km ; aujourd’hui, à 25 000 km2. Mais à un prix qui n’est plus à la portée de beaucoup. En 2005 est sorti Le Territoire des hommes, de Jean Poulit. En 1998, il montre que la région Idf à construit 136 milliards de voies rapides… cela créant en retour 48 milliards de chiffres d’affaires induits par les possibilités nouvelles de se déplacer et donc de consommer, soit 130 000 emplois. En 2017, le prix des voieries a augmenté, les voitures polluent et sont personna non grata en centres-villes ; quant à nos maisonnettes de banlieue lointaine sur le modèle américain, elles nous enferment loin du travail et de nos liens familiaux. Pour les familles hors Paris, à 2 voitures, le budget va de 500 à 700 euros/mois…

— Le budget construction est sans cesse poussé à la hausse. Comment ? Facile :  viabilisation (relier le terrain à l’eau, aux déchets, à l’électricité) : entre 20 000 et 40 000 euros/terrain pour une maison individuelle (si vous avez la malchance d’avoir le tout-à-l’égoût). Normalisation, règles de construction : si la zone est inscrite aux Bâtiments de France, comptez au moins 20 000 euros de plus pour votre projet individuel ; rajoutez de l’argent encore en zone de lotissement selon le règlement de celui-ci, puis selon l’exigence des règlements d’urbanisme. Par habitation, les normes techniques et exigences d’assurances sont devenues telles qu’elles rajoutent encore quelques milliers d’euros au compte de construction (30 à 50 euros/m2 selon le Centre scientifique et technique du bâtiment).

Le pourquoi des coûts vu par un lobbyist pro-nature (2010-2016) : instants vécus

Les règles énergétiques mises en place par Cécile Duflot sous Hollande semblaient avoir définitivement fait de la rédaction des permis de construire un méga-acte administratif, et donc engendrer des coûts certains au motif qu’elles rapportaient à terme. A ce moment-là, je démissionnais de la Commission logement du parti écologiste. Celle-ci était présidée par Emmanuelle Cosse, qui n’a qu’une formation de juriste et est surtout (à mon sens) une apparatchik. (Ah, je pourrais en raconter, ce serait tout un roman.) Samuel Courgey, spécialiste de l’énergétique du bâtiment, publiant à Terre vivante, très connu dans le milieu de la bio-construction, et qui était à la commission énergie du même parti démissionnait en même temps. Praticiens, nous sommes impitoyablement taclés par les « politiques », qui nous pressentent mal : à EELV comme partout ailleurs, je crois. Le fait que des cadres connus d’EELV comme Emmanuelle Cosse rallient le gouvernement « Hollande » contre les militants, le divorce d’EELV avec les écologistes de terrain, tout cela finalement fera fondre leur mouvement à ses niveaux historiques les plus faibles, alors que la problématique de la crise écologique était devenue première. Pour ma part, nous étions assez nombreux à avoir réalisé que beaucoup des dirigeants d’EELV avaient fait le choix de leurs ambitions devant les valeurs qu’ils étaient censés défendre. Quand on était dans le concret, on réalisait aussi leur inexpérience, vraiment sidérante, qu’ils cachaient derrière un dogmatisme s’appuyant sur… la technocratie des cabinets ministériels et du système de pouvoir. En revanche, ils étaient des tacticiens hors pairs sur le plan politique et institutionnel. Mais, enfin, ce n’est pas seulement avec ça que l’on se sauve d’une crise globale.

En outre, la loi sur la transition énergétique de Ségolène Royal limitait peu après tout photovoltaïque dans un périmètre de 500 m autour des monuments historiques (impliquant de demander l’accord aux monuments historiques), et donc de fabriquer et de vendre librement de l’électricité individuelle sur des milliers de km2 d’hyper-centres (correspondant aux secteurs protégés) : à ma connaissance, aucun écologiste de la législature 2012-2017 n’a protesté. Pour ma part, j’ai essayé d’empêcher à mon petit niveau cette disposition en tentant de convaincre Pierre Mollac (député EELV en Bretagne)… de convaincre le député EELV Denis Baupin qui s’occupait du logement. Or, Denis Baupin n’a jamais rien fait (il s’agit du député qui a été attaqué pour harcèlement sexuel). Après, je me suis fait dire que s’il n’aurait rien pu faire s’il l’avait voulu car c’était que François Hollande lui-même qui avait fait placer cette disposition dans la loi sur la transition… Je le souligne, tout cela avait lieu tandis qu’ils préparaient au gouvernement la conférence sur le climat. Ce n’est pas pour autant que toute cette loi sur la transition de S. Royal n’est pas une certaine avancée, mais j’en doute un peu. Enfin, je vous le dis, la petite histoire renferme la grande. Car, pendant ce temps, le climat…

Au final, la création architecturale elle-même a été tellement enfermée qu’elle rend très difficile la chute des coûts, parce que celle-ci passe en partie par les formes et les matières : « Les réglementations ont pris une telle ampleur qu’elles enferment la création dans un cadre étroit et condamnent la plupart du temps l’innovation » (Le Moniteur, 2007, Nicolas Michelin). Tout cela a fonctionné parce que les prix de marché grimpaient sans limites. Voilà comment le fait que l’on a divisé depuis 1950 par quatre ou cinq le temps de mise en oeuvre d’1 m3 de matériaux ne s’est jamais répercuté sur le consommateur individuel, mais que la plus-value absorbée par l’Etat, les grandes industries, les lobbies, les banques et les assurances. Comment réagir pour l’artisan, l’individu ? Etre créatif et anticiper… Démonstration en quelques principes.

Repenser l’habitat individuelle, collectif, les usines, les surfaces construites pour relancer l’économie et... nous sauver

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Comment construire écologique et économique. Sortez des carcans :
  • ne pas construire dans le périmètre des Bâtiments de France. Economie : 10 000 à 20 000 euros ;
  • ne pas construire en lotissement. Regarder les plans locaux d’urbanismes : trop compliqués ? Allez ailleurs. Economie : 10 000 à 20 000 euros ;
  • implanter sa maison face au sud ;
  • être hors d’une zone reliée au tout-à-l’égoût ;
  • limiter la taille de la maison : ça c’est majeur. La rendre évolutive, le prévoir dans le permis. Avoir des formes simples ;
  • installer son habitat dans l’écosystème, faire qu’il serve l’écosystème et se serve de son écosystème d’une manière simple, en boucle courte : récupération de l’eau de pluie et utilisation pour tous les usages, gestion des déchets putrescibles via un composteur, toilettes sèches, production d’électricité photovoltaïque destinée au courant domestique voire, plus tard, au véhicule, chauffe-eau sanitaire à récupération de chaleur. Faire sortir un habitat des réseaux, c’est le faire sortir des charges d’eau, d’électricité et d’eau usée. Les techniques sont là. Pour l’habitat individuel, je les détaille sur le plan pratique dans un ouvrage, L’habitat bio économique, aux éditions Eyrolles : les économies de charges potentielles sont assez fortes, de l’ordre de 1 500 euros par an, mais l’ouvrage les minore certainement (les techniques ayant mûri, comme pour le photovoltaïque).

Emmanuel Druon, dans Entreprendre sans détruire (Actes Sud, 2016) a en fait transposé ce modèle dans le domaine de l’industrie, en l’occurrence la production de papier (Pocheco). Il chiffre également les économies et les gains : pour l’électricité, cela représente pour l’usine près de 350 000 euros. Une carte de la biodiversité qu’il a récréé est reproduite dans son ouvrage, à l’instars de ce qui peut se faire sur des surfaces même de 500-1 000 m2. De ce point de vue, l’idée que j’avais suivi dans un prototype en cours de finition par des personnes était une reproduction a minima de l’éco-système naturel, avec jardin potager en permaculture, mini-forêt, mare avec des dégradés de profondeur, surface herbeuse, courbes de niveaux diversement orientées, drains apparents et stockage à l’air libre de l’eau. Dans ce cadre, la bio-diversité se travaille ensuite en s’accroissant avec les plantations. Les surfaces construites, tant plates comme les toits, que verticales comme les murs, sont considérées comme des zones à végétaliser. Dans le modèle, l’intérieur lui-même accueille des végétaux. Cette biodiversité permet une grande production alimentaire… En plus que d’offrir un abri à la vie : « Arca Minore », l’association qui édite ces livres, signifie « petite arche ». Faire en sorte que chacune de nos maisons deviennent des arches, tel est le concept. Sur le plan symbolique, « arche » revêt aussi divers sens, mais l’approche est pragmatique.

Conclusion

Il n’est pas si difficile de s’inspirer de modèles conçus pour l’habitat individuel ou des usines reconverties pour les villes, mais le principal obstacle est qu’il s’agit d’une transition culturelle et que les réglementations sont bloquées, notamment par les corporatismes économiques et politiques. Combien les « mécaniques » de pouvoir ignorent la vie, tout le monde le constate. Mais, individuellement, aux six conditions que je détaille, il est possible de faire sa propre transition écologique sans demander aucune permission. Il faut penser « boucle courte » : en termes macro-économiques, ce sont là que se trouvent, je crois, les actuels gains de productivité, puisqu’on ne peut pas encore aller sur les autres planètes pour les détruire.